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IMAGO. GRGCE. Dé/initions. -Chez les Grecs
plusieurs mots désignaient ce que nous appelons un portrait, c'est-à-dire une image faite à la ressemblance de quelqu'un; mais aucun n'avait une acception bien nette ni un sens très déterminé. Les écrivains qui nous ont transmis ces diverses expressions sont loin d'y avoir apporté toute la précision que nous aurions voulu. Ainsi eixwv, qui signifie souvent un portrait, peut aussi, conformément à son radical (EÎxw, je suis semblable), s'appliquer à toute espèce de représentations, représentation d'une personne quelconque, homme ou dieu, d'une figure tout idéale 1, non plus d'une personne réellement vivante, représentation d'un animale comme d'un homme, d'une scène à beaucoup de personnages 3 comme d'un individu isolé, souvent même représentation simplement conçue par l'esprit, non traduite par le ciseau ou le pin
ceau4. 'AvôEtri; d'autre part est souvent confondu avec eixwv au .sens de portrait'. Peut-être servait-il aussi à désigner une peinture'. "400,1.2 enfin (par son étymologie, ornement ou parure quelconque) enveloppe la signification des deux termes précédents: il est à ceux-ci ce que le genre est à l'espèce 7. Ainsi, mots d'une acception très large, mots pris l'un pour l'autre : l'indécision, on le voit, est grande. Voici cependant ce qu'on peut regarder comme l'usage le plus communément suivi.
"Ayx),u.z s'emploie surtout pour signifier la statue d'une divinité, que ce soit une divinité mythologique ou allégorique 8. 'Avôotzç, par opposition aux statues divines', est, à proprement parler, la statue d'un homme, sans préciser d'ailleurs si cet homme est un personnage de la réalité ou un personnage légendaire et une fiction de l'artiste 10. Eixti)v est le mot qui correspond le mieux à celui de portrait; car, à côté de son sens général de représentation, il a le sens particulier et restreint d'image ressemblante. Pour cette seconde acception les exemples abondent et il serait superflu d'insister". Cette image ressemblante peut être rendue soit par la sculpture soit par la peinture. Le mot eixifv, même employé seul, sans adjectif qui le qualifie, s'applique à un tableau12 comme à une statue ; c'est le contexte qui fera connaître duquel de ces deux arts il s'agit. Mais souvent aussi une épithète est là pour compléter l'expression. Un portrait peint, c'est Eixwv yEce7r o ou yEyFzutp.wri 1°. On développe même davantage la qualification du substantif. On dit eixinv
peint sur bouclier [CLIPEUS] ou médaillon (Voy. p. 394 et fig. 3965). Quand le bouclier n'est que de bronze, on se dispense d'indiquer la matière. Mais s'il est d'un métal plus précieux, si, par exemple, autour du portrait on a ménagé un fond de bronze doré, ce détail n'a garde d'être omis; nous lisons à maintes reprises sur les inscriptions:
Eixwv '(Fz1'=';'l iv i'77.X) É,.t7otlrn , ou, par abréviation, six(In) yoa ctirl i (ypuro;, On même eirwv É7:1,Furro; simplement". Quand on veut exprimer que l'eixwv yF.r'ro, l'image peinte,
est celle d'une personne entière, un portrait en pied, on fait suivre les deux mots de l'adjectif 're),e(x1i. Mais l'image sur disque de métal ne peut jamais être dite e),e(z, car elle est toujours exécutée en buste ou en demi
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figure 1. Pour un portrait sculpté, suivant la matière dans laquelle il a été travaillé, nous trouvons les locutions
sixi~v za3,r,-ïl ou )t0(vrl ou p.apti.ar(v-r} ou ypuci 2. Si sixc„v,
pris au sens de portrait, est employé, comme il arrive, isolément, sans désignation de la matière, il faut entendre que le portrait est une statue de marbre.
2° Circonstances où les portraits se produisaient. Que le
portrait ait tenu une grande place dans la vie des anciens, et d'abord dans celle des Grecs, c'est ce que notre article tout entier a pour objet d'établir. En Grèce, les portraits étaient soit déposés dans les temples comme offrandes religieuses h la divinité (et à ce titre ils faisaient partie de la nombreuse classe des âvxO.iiuxrr) [DONARIHM], soit exposés sur les places ou dans les édifices profanes comme récompense des services rendus par un citoyen et encouragement à imiter ses vertus, soit destinés à orner les maisons particulières ou à fixer les traits du mort sur la tombe pour permettre à la piété des survivants de se prendre à quelque chose de plus concret qu'un simple souvenir. Comment alors s'étonner que dans ces petites cités où l'idée religieuse était si puissante et dominait la vie tout entière, dans ces républiques qui tendaient de tous côtés à créer l'émulation entre les citoyens et à développer la valeur individuelle, dans ces familles enfin toutes groupées et constituées autour du culte des morts, les portraits se soient rapidement multipliés? Le terrain était merveilleusement favorable à l'épanouissement de cette branche de l'art. Nous allons nous en rendre compte dans le détail.
Disons tout de suite, pour n'avoir plus à y revenir, que nous emploierons le mot portrait avec un sens plus large que ne font les modernes. Aujourd'hui ce qui constitue essentiellement un portrait, c'est le caractère individuel de la figure. En Grèce, même devant un type général et conventionnel, devant une figure idéale, on peut parler de portrait. Là c'est l'intention seule qui compte. Y a-t-il eu intention de représenter des personnages ayant réellement vécu, non point une figure humaine quelconque, mais tel athlète, tel stratège ou magistrat, tel poète ou philosophe? Cela suffit. Que l'exécution malhabile ait trahi l'intention des premiers « imagiers », que plus tard, au ve siècle, au Ive encore, les artistes, guidés par une certaine conception idéaliste de leur art, n'aient pas cru devoir reproduire le visage humain avec tous ses défauts, peu importe. Dans leur pensée, une statue, un buste déterminés se rapportaient à un individu déterminé : ces oeuvres doivent être regardées comme des portraits.
Ainsi entendu, nous voyons que le portrait en Grèce date de beaucoup plus loin qu'on ne le croirait tout d'abord si l'on tenait compte de la seule ressemblance. Il nous est impossible d'en préciser l'apparition ; mais ce dut être de bonne heure. On peut compter parmi les premières manifestations de l'art du portrait les célèbres masques d'or recueillis dans les tombes de Mycènes et qui datent d'une période antérieure au Xlle siècle. « Pendant les apprêts des obsèques, le corps du chef, préservé de la décomposition par une sorte d'embaume
ment, était couché sur un lit de parade; l'orfèvre prenait comme modèle cette tête dont les yeux étaient fermés par le sommeil de la
mort; il s'appliquait à faire ressembler au visage le masque qui devait bientôt le recouvrira (fig. 3957). » Après l'invasion des Doriens, l'art, naissant, est extrêmement pauvre dans ses moyens d'expression. Il ne conn aî t que deux types, un type masculin et un type féminin. Ces con
quêtes lui ont été assez pénibles pour qu'une fois les deux formules trouvées, il se borne à les répéter. Aussi, quand il s'attaque à la représentation de l'humanité, incapable de rendre la diversité des figures individuelles, a-t-il recours aux mêmes formes, aux mêmes types qui lui servaient déjà pour représenter les dieux. Nous le savons par un texte de Pausanias'. Le plus ancien portrait dont le souvenir soit parvenu jusqu'à nous, est celui d'un athlète, le pancratiaste Arrhachion. Placé par les habitants de Phigalie sur l'agora de leur ville, quelques années avant la ulve olympiade, il avait, au dire du périégète qui le vit encore, les pieds à peine séparés, les bras collés aux côtés jusqu'aux hanches. C'est exactement l'attitude de toute la curieuse série de figures connues sous le nom d'Apollons archaïques. Le visage de mème, à n'en pas douter, devait reproduire les proportions fixées à l'avance, les traits conventionnels de l'Apollon de Théra ou de l'Apollon d'Orchomène. Ainsi ni la statue d'Arrhachion ni celles, toutes semblables, de Praxidamas d'Égine et de Itllexibios l'Opuntiens, postérieures d'une vingtaine d'années, ne différaient en rien des statues de divinités. Il fallait bien toutefois les distinguer? Comment le faisait-on? En gravant une inscription sur la base de la statue : procédé naïf, le seul que l'on connût alors pour donnerà la figure impersonnelle une personnalités. Aussi parmi les soidisant Apollons, en est-il certainement qui représentent en réalité de simples mortels. Ils rappellent des individus distincts : dans la pensée des sculpteurs ou des donateurs, ils étaient donc des portraits. Pas un ne nous est arrivé avec sa dédicace; rien n'est plus légitime cependant qu'une pareille conclusion. La plupart des érudits s'y rangent aujourd'hui; s'ils conservent l'ancienne dénomination d'Apollons, ils savent la valeur très relative qu'il faut encore lui attribuer. Des faits sont venus confirmer l'hypothèse. A Chypre une statue du type des Apollons a été découverte dans le dromos d'un tombeau : elle ne pouvait représenter que l'image du défunt'. De même l'Apollon de Théra, celui de Ténéa, semblent bien avoir été de véritables portraits funé
raires e.
Pour le type féminin nous avons une autre série de figures, les statues mises au jour dans les fouilles de
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l'Acropole en 1886. Elles ne sont point toutes, comme on le crut d'abord, des images de la déesse protectrice d'Athènes. L'on s'accorde maintenant à y reconnaître aussi bien des mortelles et des mortelles différentes qu'une seule et même divinité'. Elles peuvent très bien avoir représenté des prêtresses du culte ou des errhéphores ou même de simples dévotes qui ont voulu' consacrer leur portrait à la déesse Athéna. Seulement, à l'époque où nous sommes, au début du v, siècle, l'art est sorti des premiers tâtonnements. S'il n'arrive pas encore, malgré certaines particularités de détail, à donner à ses figures une individualité bien grande, il ne se borne plus, comme au temps des Apollons archaïques, à mettre une inscription au bas de la statue pour que le personnage s'y nommant fasse connaître son identité et nous apprenne s'il est dieu ou mortel. Il emploie un procédé plus savant : il met aux mains de sa figure des attributs différents. Le sculpteur a travaillé à part l'avant-bras droite. Dans une cavité ménagée à la hauteur du coude il engage, quand il le veut, cet avant-bras muni d'un tenon ; puis il soude les pièces assemblées avec du ciment de chaux. De la sorte il pouvait exécuter à l'avance quantité de statues, toutes sur le même patron. Au dernier moment, quand l'acheteur venait lui faire la commande, il lui suffisait d'adapter l'avant-bras à la statue déjà prête; il lui donnait des attributs en rapport avec la personne qui dédiait son image, et la statue devenait aussitôt cette personne elle-même. Voulait-il par exemple représenter une prêtresse; il lui mettait, comme on le voit à l'une des statues trouvées sur l'Acropole, une couronne dans la main droite, un vase à parfum dans la main gauche 3. Malheureusement presque toutes les figures sont privées de leur avant-bras. Cela se comprend : cette pièce rapportée s'est détachée ou brisée, perdue d'une façon quelconque, et nous ne pouvons plus maintenant identifier les personnes. Pour nous, elles se ressemblent et nous ne voyons plus que leur air de famille; mais pour le sculpteur, pour le donateur ou la donatrice, la différence des attributs, l'intention très précise de la dédicace faisait de chacune de ces statues une oeuvre très différente de sa voisine et la rapportait à un individu très déterminé.
C'est ainsi que l'art est passé de l'image d'une divinité à l'image d'un mortel, homme ou femme, et même d'un mortel particulier, ayant réellement vécu. Nous tenons la ce qui a été le portrait des époques archaïques. Plus tard, dans le cours du ve siècle, l'art, en possession de sa technique et maître de lui, abordera directement l'étude du visage humain. Il poursuivra désormais cette étude suivant les deux tendances, tour à tour triomphantes, entre lesquelles se partage de tout temps la pensée
humaine, l'idéalisme et le réalisme [scULrTURA, STATUARIA
ARS]. Mais le suivre dans cette voie serait nous écarter de notre objet qui est de grouper relativement au portrait un certain nombre de faits ou d'habitudes de la vie antique. Ce serait tracer tout au long l'histoire du portrait : nous n'avons point à nous y engager. Remarquons seulement qu'à la même époque le bas-relief, qui participe de la peinture et offre plus de facilité d'exécution, se montre
supérieur à la ronde bosse par ses qualités de réalisme et de naturel dans l'observation des attitudes et de la physionomie. L'éphèbe au disque (fig. 1799), la stèle d'Aristion dite Guerrier de Marathon (fig. 3958), la stèle d'Alxénor sont des oeuvres empreintes d'une grande vérité d'expression et d'individualisme pénétrant'.
3° Matières qui ont servi au portrait. A. Les matières les plus diverses, les plus humbles comme les plus précieuses, ont servi aux artistes grecs pour exécuter leurs portraits. C'est dans le bois que furent taillées les premières images. Il n'en pouvait être autrement, puisque pendant toute une période les sculpteurs n'employèrent pas d'autre matière. Il est vrai qu'on ne prenait pas n'importe quelle essence. Pausanias nous apprend
que la statue de Praxidamas d'Égine consacrée à Olympie était en bois de figuier, celle de Rhexibios l'Opuntien en bois de cyprès'. Du reste les plus anciennes représentations viriles que nous ayons conservées (comme la statue d'Orchomène, une autre tête béotienne trouvée près du temple d'Apollon Ptoos 6), bien qu'exécutées en pierre, rappellent manifestement par leur technique le travail du bois. Construction par plans coupés à arêtes, contours nets, sections aiguës, tout nous prouve que l'artiste, encore plein des souvenirs de la sculpture sur bois, n'a pas su, en attaquant une autre matière, se déprendre de ses habitudes anciennes. Les monuments s'accordent ainsi avec le témoignage de Pausanias.
Mais le bois, matière de qualité médiocre, matière peu résistante aussi, devait bientôt être abandonné. Avant de passer au marbre, on eut recours à la pierre calcaire, au tuf, matière tendre, commode pour un ciseau inexpérimenté, plus facile à tailler que le marbre. La tête du Ptoion, citée plus haut, est sculptée dans le tuf. Il en est de même de la stèle funéraire de Tanagra qui représente presque en ronde bosse les deux amis Dermys et Iiitylos 7. Toutes les écoles primitives passèrent par cette période du travail du tuf. Mais ce ne pouvait être qu'une sculpture de transition ; la pierre calcaire, avec son grain poreux et gros, ne permet ni précision ni modelé. Quand les îles de l'Archipel eurent fait connaître les ressources du marbre, on ne voulut plus se servir d'une autre matière. C'est en marbre en effet que sont exécutés tant de beaux portraits réunis dans les musées d'Europe et appartenant aux époques classiques de la Grèce.
A côté des portraits sur pierre, il faut placer les portraits en métal. Le travail du métal fut non moins en honneur dans la Grèce que le travail du marbre. Dès le via siècle, les bronziers de Samos étaient célèbres. Dans la suite, les ateliers d'l gine, ceux du Péloponèse, d'Argos et de Sicyone ont une prédilection marquée pour la fonte
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du bronze : ce n'est que par exception que les artistes doriens travaillent le marbre. Comme presque toutes les images des vainqueurs aux grands jeux helléniques sortent de leurs mains (c'est pour eux une véritable spécialité), les statues des athlètes sont donc presque toutes des statues de bronze'. On voit déjà la quantité de portraits de métal qui furent répandus dans les pays grecs. Mais il y avait d'autres images de bronze. Le Samien Théodoros, celui qui inventa l'art de fondre des statues, avait, au dire de Pline 2, appliqué son procédé à la fonte de sa propre statue. Deux siècles plus tard, Lysippe exécute en bronze tous les portraits d'Alexandre 3. Dans l'intervalle on n'avait pas cessé de dresser aux citoyens qui avaient bien mérité de la patrie des statues de ce même métal'. Mais avec Alexandre et ses successeurs, les portraits se multiplient davantage. Rappelons, entre beaucoup d'autres œuvres de bronze, les statues des trois grands tragiques élevées par l'orateur Lycurgue au théâtre de Dionysos (entre 350 et 330)5, celle de Démosthène, commandée à Polyeuctos par les Athéniens tardivement reconnaissants6, puis la série des bustes trouvés à Herculanum, où il faut voir des personnages de l'époque hellénistiqne , érudits, poètes, monarques, le prétendu Sénèque Séleucos Nicator 8, etc., enfin deux statues découvertes à Rome, sur l'Esquilin, un prince grec debout, appuyé sur sa lance, un pugiliste assis, deux œuvres qui sont certainement des portraits 0. Le bronze était souvent doré. Contentonsnous de le noter à présent : nous y reviendrons un peu plus bas, à propos des portraits sur disques de métal ou médaillons.
Avant de quitter les métaux, n'oublions pas de mentionner les effigies des diadoques gravées sur les monnaies de bronze, d'argent ou d'or. Longtemps les Grecs répugnèrent à cet usage : ils n'admettaient comme types monétaires que les types purement religieux ou mythologiques. La tête de Sapho sur les pièces de Mitylêne est une exception 10. Alexandre fut le premier qui, à l'imitation sans doute des rois perses, plaça son portrait sur les monnaies (fig. 216, 2560 et s.). Encore ne le fit-il qu'a\ ec ménagements. Les statêres d'or conservèrent la tête d'Athéna, et sur l'argent il prit les attributs d'Hercule, se couvrit la tête de la peau de lion ; enfin ses traits étaient fortement idéalisés et se rapprochaient de ceux d'un dieu. Mais après lui les effigies royales deviennent de plus en plus fréquentes et de plus en plus individuelles. Au nit et au ue siècle, l'habitude est générale (fig. 2338, 2339). Quand les princes ne se représentent
pas eux-mêmes, ils représentent le fondateur de leur dynastie ou l'un de leurs illustres prédécesseurs, comme Philétairos de Pergame, Antimachos (fig. 3959) ou Euthydémos de Bactriane 11.
Les pierres fines, carnées et
intailles [GEMMAE], ont souvent
aussi été le champ où les anciens ont reproduit, dans des proportions bien réduites, mais avec une extrême délicatesse, les traits de leurs contemporains. Les gemmes ou pierres
gravées se rencontrent sur le sol hellénique aussi haut qu'on peut remonter dans l'histoire de la Grèce; la civilisation dite mycénienne a livré des oeuvres de glyptique très abondantes. Plus tard, au début du ve siècle, la mode des pierreries est une véritable fureur, comme mainte anecdote en fait foi12. Mais c'est seulement dans les premières années du siècle suivant, avec le goût croissant de l'époque pour la réalité quotidienne, qu'apparaissent sur les gemmes, sous une forme idéalisée sans doute, les figures de personnages déterminés, dont le nom est même parfois gravé dans le champ de la pierre. L'artiste Dexaménos de Chios représente sur une calcédoine une grande dame, Mica, à laquelle sa servante offre le miroir, et trace sur un jaspe rouge un portrait d'homme barbu 13. L'époque d'Alexandre et de ses successeurs, si éprise de magnificence et de faste, devait bien se garder de laisser tomber un art comme celui des pierres fines, art de luxe avant tout, où la qualité et le prix de la matière a autant d'importance que le travail de l'ouvrier. Les souverains d'alors veulent tous que leurs effigies décorent les plus belles des gemmes. Alexandre donne l'exemple. Pyrgotèle est son graveur attitré, comme Lysippe est son sculpteur et Apelle son peintre. Nombre de camées et d'intailles portent ses traits (fig. 3512). Souvent il a les attributs d'une divinité dont il se proclame le fils ou dont il cherche à rappeler les exploits. C'est ainsi que tantôt il prend les cornes de bélier de Zeus Ammon'`, tantôt il se rapproche du type d'Athéna15 ou d'HIerculef6. Les généraux macédoniens, devenus rois à leur tour, s'efforcent d'imiter, de dépasser même leur ancien maître. Séleucos Nicator est coiffé sur un camée du casque d'Achille 17. Un autre Diadoque (Ptolémée Soter ou Démétrios Poliorcète) a les attributs de Zeus f8; Persée de Macédoine, l'égide d'Athéna's (fig. 1261). Nous ne
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pouvons enfin nous dispenser de mentionner les célèbres camées de Saint-Pétersbourg et de Vienne 2, représentant chacun les bustes conjugués de deux Ptolémées. Les riches particuliers ne demeuraient pas en arrière; ils commandaient leurs portraits à Phidias, Philon, Scopas, Nicandre, aux autres lithoglyphes célèbres de l'époque. D'autre part, très passionnés de littérature, ils ne se contentaient pas d'avoir en marbre ou en bronze l'image des grands philosophes ou poètes d'autrefois. Ils voulaient en posséder les traits sur un objet maniable, aisément portatif, qui fût en outre comme un raffinement de luxe. Des calcédoines, des onyx, des saphirs, des cornalines, des jaspes, etc., représentent Homère, Sapho, Anacréon, Socrate, Aristophane, Platon Toutes ces pierres gravées servaient de sceaux, de bagues, d'ornements quelconques, ou étaient conservées précieusement dans des collections. A côté des bibliothèques, des pinacothèques, on avait des dactyliothèques. Celle de Mithridate était célèbre entre toutes ; après la victoire de Pompée sur le roi de Pont, elle vint enrichir le trésor du temple de Jupiter au Capitole.
Le graveur en pierres fines participe à la fois du sculpteur et du peintre ou au moins du dessinateur, selon qu'il grave en relief un camée ou grave en creux une intaille. Nous voici donc amené à parler de la peinture et à examiner les différentes matières sur lesquelles on peignait des portraits. Nous ne rouvrirons pas ici le débat qui, pendant dix ans, a mis aux prises RaoulR.ocbette et Letronne, le premier soutenant que les anciens, aux beaux temps de leur art, n'avaient jamais connu que la peinture sur bois, le second, d'un avis diamétralement opposé, voyant partout la preuve que les Grecs avaient peint sur les murs eux-mêmes 5 [picnatal. Nous n'adopterons aucun de ces deux points de vue, étroits et sans doute faux l'un et l'autre pour être trop systématiques. Nous nous arrêterons avec Boeckh à une opinion moyenne qui paraît la plus vraisemblable
c'est que les Grecs ont pratiqué les deux manières de peindre, sur l'enduit du mur et sur des panneaux de bois. Pourtant, à notre point de vue particulier du portrait, ce fut sur bois plus souvent que dut être exécutée l'image des personnages vivants. La peinture appliquée directement sur la paroi, autant que nous en pouvons juger avec nos connaissances si imparfaites, précéda l'autre méthode de peindre. Mais elle date justement d'une époque où l'on abordait peu les représentations purement humaines. Déjà même, au temps de Polygnote, les fameuses peintures du Poecile où se voyaient les portraits des généraux ou guerriers grecs, Callimaque, Miltiade, Cynégire, et des chefs barbares, Datis, Artapherne', étaient, d'après le témoignage de Synésius, qu'il n'y a pas lieu de révoquer en doute e, des peintures sur bois. Dès lors, quand on eut reconnu les avantages que présentait comme matière le panneau de bois ou tableau proprement dit (eav(lc;), la facilité que l'on a de le transporter, de le remplacer, de le travailler à l'atelier,
V.
on n'employa presque plus que cette matière. Or le ive siècle est celui où le portrait se développe et a la vogue du public, des grands personnages comme des simples particuliers. Les portraits d'Apelle, de Protogène, des peintres contemporains ou postérieurs, représentant Alexandre, Antigone, Clitus à cheval, l'acteur tragique Gorgosthénès, les Thesmothètes réunis en collège, etc. 9, étaient tous exécutés sur bois. Nous retrouvons, deux ou trois cents ans plus tard, à partir du ne siècle de l'ère chrétienne (car nous n'avons à peu près aucun renseignement sur la période
intermédiaire) la curieuse série des sa-et portraits du Fayoum, dans l'Égypte devenue gréco-romaine 10. Ils sont égale
,
ment sur bois. nommes (fig. 3060) ", femmes, vieillards, enfants, c'étaient des portraits de défunts. On plaçait la tablette de cèdre ou de sycomore sur le cercueil de la momie, à la partie supérieure, en glissant les bords de la planche sous les bandelettes. De la sorte, le défunt était reconstitué tout entier et reprenait vie dans la tombe. C'était la continuation des plus anciennes coutumes de l'art égyptien qui modelait autrefois sur le cercueil, comme l'on sait, un visage à la ressemblance du mort. La surface de bois avait simplement remplacé le masque d'argile ou de pierre (fig. 3961)12.
Les Grecs ont connu aussi la peinture sur marbre, surtout, à ce qu'il semble, pour les portraits des stèles funéraires. Si elle ne fut jamais très répandue, du moins en constatons-nous l'existence à des époques très différentes : ce qui nous autorise à croire qu'elle demeura toujours cultivée. Du vie siècle, de l'époque ar
chaïque, nous avons conservé la stèle de Lyséas (fig.39g, trouvée près de Marathon, à Vélanidéza (un homme debout, drâpé dans son manteau, un canthare à la main ;
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le visage par malheur manque en partie) du ve une élégante tête d'éphèbe provenant du cap Sunium2 et le portrait reproduit plus loin du médecin Aineios (fig. 3963). Au Ive siècle appartient encore la stèle d'un Macédonien, nommé Tol.kès, représenté assis, tenant une amphore de Rhodes et un flacon d'huile3.
Quant à la peinture sur toile (in linleo), elle ne paraît pas avoir été en usage dans l'antiquité grecque. Mais il ne faut pas confondre avec celle-ci la peinture sur étoffe in textili), c'est-à-dire la broderie et la tapisserie, qui, elle, fut d'un emploi très fréquent. La Grèce a aimé de tous temps les tissus brillants de riches couleurs et ornés de dessins (aotxO.u.ITa) ; elle les faisait intervenir comme décoration de ses édifices et comme parure de ses fêtes. Mais c'est encore à l'époque d'Alexandre que nous sommes ramenés pour voir le luxe de l'industrie textile poussé à un degré inouï. Comment les souverains n'auraient-ils pas eu l'idée de fixer leurs traits sur ces somptueuses tapisseries? Dans le célèbre pavillon de Ptolémée Philadelphe brillait une tapisserie de ce genre Ce ne fut pas, nous pouvons le croire, un exemple isolé.
Après la peinture sur bois, sur mur et sur marbre, après la broderie et la tapisserie, la mosaïque : car les différentes formes de la peinture sont toutes représentées dans l'art du portrait. La magnificence hellénistique devait se plaire à la mosaïque, comme elle se plaisait aux tapisseries, aux pierres gravées, à toutes les manifestations les plus raffinées et coûteuses de l'art. Les oeuvres de ce temps-là n'ont pas survécu. La belle mosaïque du musée de Naples, la bataille d'Issus, est, sans doute d'une époque postérieure ; mais elle supplée pour nous à une série d'oeuvres analogues, et l'Alexandre à cheval qui y figure, d'une expression si vivante, peut nous donner une idée de ce qu'étaient les portraits en mosaïque de l'art des Diadoques «fig. 2726).
Nous avons déjà parlé des portraits exécutés en médaillons, soit sur boucliers véritables, soit sur toute surface ronde imitant un bouclier, sur des disques quelconques de bois, de marbre ou de métal. C'est le moment d'en parler avec un peu plus de détails. Ces portraits purent être dans les premiers temps travaillés en relief et coloriés : tel le portrait sur bouclier du Thébain Timomaque, consacré par les Spartiates dans un temple d'Amyclée Mais ce qui est sûr, c'est que le plus souvent ils furent peints. Tous les témoignages que nous avons conservés à ce sujet le prouvent expressément. Nous avons montré audébutcombienlesexpressions Eixr v yFx:rtr iv Co, 1111ELx(iv yra7rTi) iv ii7r)c,) i7rtZeticw revenaient
fréquemment sur les inscriptions Or ces expressions, redisons-le, signifient et ne peuvent signifier que portrait peint sur bouclier, portrait peint sur bouclier à fond doré. L'origine de ces peintures doit sans doute être cherchée dans l'habitude, usitée dès les temps héroïques, de peindre sur les boucliers de guerre toute sorte de figures ou symboles [CLIPEUS] 8. En tout cas, ce genre de portraits
était extrêmement répandu. 11 l'était à ce point que, d'après Boeckh, les mots Eïxwv yex7ti;;, même seuls, même sans l'addition de v S-),tp, doivent presque toujours s'entendre dans les inscriptions d'un portrait peint sur bouclier et non d'un tableau ordinaire9. L'Eixiov yrxaT-li, le portrait sur bouclier, s'oppose en effet très souvent à
l'Eix1À)v ypIX7:Tri TEÂE[z, le portrait en pied (lequel, étant
l'image de la personne entière, ne peut être un portrait
sur bouclier), à l'Eixôiv zpus-ii, lt.aruarivrl. A la cou
ronne d'or, à la statue de bronze, d'or, de marbre, au portrait en pied sur bois, décernés à un citoyen, on ajoutait donc comme récompense un portrait sur bouclier10. Nous connaissons des réminiscences en marbre de ces anciens boucliers métalliques; des médaillons de marbre représentent Sophocle et Ménandre, Démosthène et Eschine; un autre, quelque image d'hiérophante 11 Mais nous connaissons mieux. Une peinture sur marbre de Paros, le portrait du médecin Aineios (fig. 3965), nous apporte un exemple très net de cette classe des disques peints, si nombreuse autrefois, si pauvrement représentée aujourd'hui 12. Enfin il faut placer dans une catégorie à part les portraits que les peintres sur argile, en particulier les fabricants de vases peints, ont exécutés. Non pas que la peinture céramique ait jamais recherché l'expression individuelle d'un personnage, au sens où nous l'entendons aujourd'hui ; c'est surtout dans le passé que les artistes ont entendu retrouver et créer à nouveau les traits de ceux qui occupaient l'imagination populaire : on peut citer dans ce genre les portraits de Musée et de
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s
Linus, d'Alcée et de Sapho (fig. 3363)13, d'Anacréon parmi les poètes 14, ceux de Codrus, d'Arcésilas de Cyrène, de Crésus, de Darius, d'Ilipparque, d'Ilarmodius et d'Aristogiton parmi les rois et les citoyens15. Les modeleurs de plaquettes en terre cuite ont suivi quelquefois la même tradition 18
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Les différentes sortes de portraits. Telles sont les
matières très diverses, on le voit, qui servaient à peindre ou à sculpter des portraits. Les portraits, d'ailleurs, comportaient dans la pose, l'attitude, les dimensions, toutes les variétés que leur ont données les modernes. D'abord les statues proprement dites, statues debout (le Démosthène du Vatican', l'Eschine de Naples 2, le Sophocle du Latran 3) ou assises (le Ménandre et le Posidippe du Vatican)4. Puis une sorte de portraits spéciale à l'antiquité classique, les hermès ou piliers quadrangulaires surmontés de la tête d'un personnage, souvent de la tête et du haut de la poitrine : dans ce dernier cas il convient de les appeler plus exactement des bustes hermétiques. Hermès ou bustes hermétiques abondent dans nos musées : c'est la forme sous laquelle, à, partir du
Ive siècle, quand la passion du portrait s'empara de plus en plus du goût public, les images des grands hommes nous sont surtout parvenues. Ils étaient plus vite exécutés que les statues et permettaient aux sculpteurs de répondre à toutes les commandes. Pour les particuliers ils offraient l'avantage d'être moins encombrants et de pouvoir prendre place dans les habitations. Citons comme exemples les hermès des Sept Sages, de Périclès (fig. 3964)1', de Platon au Vatican d'Alexandre au Louvre '. Cette forme de portraits s'est conservée pendant toute l'an
tiquité. Aux premiers siècles de notre ère, les portraits dédiés aux cosmètes ou magistrats de l'éphébie attique sont encore des bustes hermétiques (fig. 28'78) 8.
Le buste ordinaire, qui est la forme couramment employée dans l'art romain, ne fut pas, quoi que l'on en ait dite, étranger à l'art hellénique ou du moins hellénistique. Il était naturel que l'époque des Diadoques, avec sa tendance très forte vers la vérité de la représentation, introduisît, à côté de l'hermès, le buste qui donne du personnage une image plus conforme à la réalité. A partir d'Alexandre, bien des monnaies et des pierres gravées ne portent plus, comme auparavant, la tête coupée brutalement à la naissance du cou; désormais le cou s'allonge; la poitrine apparaît; la ligne inférieure, au lieu d'être une section droite, s'arrondit ; parfois même le vêtement qui recouvre la poitrine est indiqué. Or on croira difficilement que les graveurs sur pierres fines et sur monnaies aient d'eux-mêmes inventé le buste. L'habitude de ces artistes est de subir l'impulsion du grand art plutôt que de la donner et d'adopter les innovations plutôt que de les faire. Si donc nous trouvons dans leurs oeuvres des portraits en buste, il
1 faut admettre que la sculpture contemporaine em ployait aussi cette forme. C'est au temps seul que nous devons imputer la disparition de ces monuments de la plastique. Ont-ils même entièrement disparu? M. Ilelbig cite deux bustes, l'un de terre cuite, l'autre de marbre, une femme de la collection Castellani, un homme imberbe de la villa Borghèse, où il voit des productions de l'époque hellénistique 10; et la belle collection de portraits grecs et romains, commencée par MM. Brunn et Arndt, permettra certainement d'en découvrir davantage ". Ainsi la Grèce avant Bome a connu le buste. Disons plus. C'est Rome qui a emprunté le buste à la Grèce. La langue grecque a un mot pour exprimer cette variété de portrait : 7rwToM, le haut de corps12. Le latin n'en a pas, nous le verrons, et doit recourir à une expression très générale, imago, qu'il prend dans un sens restreint13.
Les portraits peints ou gravés étaient exécutés de face, de trois quarts ou de profil. Sur les monnaies, les têtes des rois grecs sont de profil. Pour les tableaux, nous avons peu de renseignements, et d'autre part aucune oeuvre n'a survécu. Cependant nous savons qu'Apelle montra de profil le roi Antigone pour dissimuler le défaut physique qu'il avait : il était borgne 14. Ce fait prouve donc qu'on peignait de profil ; plais en même temps le soin avec lequel est notée la difformité du modèle, comme pour justifier la pose qu'Apelle lui avait donnée, semblerait indiquer que les portraits de cette sorte étaient assez rares. On sait d'ailleurs par la céramique peinte et par les monnaies que l'étude des visages
de trois quarts commence dès le début du ve siècle (fig. 3963), avec de grandes maladresses d'exécution dont
on est long à triompher'. La perfection n'est réalisée qu'à la fin du ve et au début du Ive, comme on peut le voir par les belles monnaies de Sicile et d'Italie z. On devait donc souvent peindre les personnages de trois quarts et de face, quand on le pouvait : ce qui est naturel après tout, un profil offrant toujours beaucoup moins de ressemblance qu'une tête vue de face. Sur boucliers, Raoul-Rochette prétendait qu'on ne peignait jamais de visages de profil'. Mais l'image du médecin Aineios reproduite ici • (fig. 3965) infirme cette thèse d'une façon définitive : on peignait aussi sur les boucliers des visages de profils.
Places qu'occupaient les portraits. dont nous avons reconnu la matière
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Ces portraits et les différentes
espèces, en quels endroits, une fois exécutés, étaient-ils placés, et de quelle façon l'étaient-ils? Distinguons les lieux selon leur caractère sacré ou profane, public ou privé.
D'abord les temples et les autres sanctuaires destinés au culte public. De bonne heure on prit l'habitude de consacrer son image à la divinité ; c'était une offrande âv,O-fiu,a) qu'on lui faisait pour lui être agréable, généralement en manière d'ex-voto. Nous connaissons de ces âvzO.tiparz qui nous reportent à une date très reculée, jusqu'aux premières années du vie siècle. Les célèbres statues des Branchides, les prêtres d'Apollon, bordaient l'avenue du temple Didyméen G. C'était sans doute aussi son propre portrait que laNaxienne Nicandra avait dédié à 1'Artémis de Délos 7. Parmi les prétendus Apollons archaïques, si nos conjectures antérieures sont justes, il devait y avoir des portraits votifs'. Au ve siècle, les exemples se font plus nombreux et plus certains. Ce sont, à l'Acropole, les statues d'Épicharinos, un hoplitodrome', d'OEnobios, celui dont un décret rappela Thucydide de l'exil1', de la mère et de la tante d'Isocrate"; à Delphes, celles de Gorgias et de Lysandre 12. L'usage de ces portraits est assez répandu alors, même chez les simples particuliers, pour que Phèdre promette, comme une chose toute naturelle, de consacrer à l'Apollon Delphien sa statue d'or de grandeur naturelle en même temps que celle de son maître Socrate".
Il semble que chacun dût dédier de préférence son image à la divinité qui passait pour s'intéresser le plus aux occupations que l'on remplissait sur terre. Un guerrier, par exemple, devait choisir le temple d'Athéna ou d'Arès ; un marin, les sanctuaires de Poseidon. Sans doute le cas se présentait. Le portrait d'Arimnestos, général platéen, était placé dans le temple d'Athéna Aréa ", celui d'lphicrate dans le Parthénon 15. llomère avait sa statue à l'entrée du sanctuaire de Delphes"; Phryné, dans le temple d'Éros à Thespies 1T. Mais, quelque étonnant que cela paraisse, ce sont plutôt des exceptions; nous connaissons très peu d'exemples de cette sorte. On ne repoussait pas la coïncidence quand elle s'offrait ; on ne la cherchait pas. Aussi dans un même temple, nous trouvons réunis les portraits des personnes les plus différentes. A Olympie, par exemple, on voyait côte à côte, dans l'enceinte de l'Attis, des statues de vainqueurs
en nombre considérable, le devin Thrasybule, Lysandre, Aristote, le roi Archidamos. le tyran Gélon, Philippe, Alexandre, Hiéron Il, Aratos, etc.; à Delphes, le sophiste Gorgias et la courtisane Phryné, Homère et Archidamos, Philippe et le joueur de cithare Aristonikos, sans compter tous les portraits de particuliers inconnus que pour cette raison Pausanias n'a pas mentionnés '$. En réalité, ce qui faisait choisir tel ou tel sanctuaire, ce n'était pas l'analogie des fonctions exercées sur terre par l'homme, dans l'Olympe par la divinité. C'était, d'une façon plus générale, toute circonstance de la vie, qui, vous mettant en relation directe, personnelle avec un dieu déterminé, créait entre lui et la personne humaine un lien religieux. Ainsi les fondateurs d'un temple avaient tout naturellement place dans ce temple ; un sanctuaire d'Artémis, élevé par Thémistocle, possédait de lui une petite statue (Eixdvtov)19 ; l'Olympieion, pour avoir été achevé par Hadrien, était rempli des portraits de l'empereur20. De même ceux qui avaient travaillé à la construction ou à la décoration du temple, architectes ou sculpteurs, les prêtres qui veillaient au service du culte, les athlètes qui avaient triomphé aux jeux célébrés dans l'enceinte sacrée, se trouvaient mis en rapport avec la divinité du lieu et amenés à lui consacrer leur image. Bien d'autres circonstances, qui nous échappen t aujourd'hui, pouvaient être à un moment donné des occasions de semblables dédicaces. Puis, en dehors de tout motif religieux, même. sans qu'on eût de rapport personnel avec le dieu, on pouvait encore, par simple désir de s'honorer soi-même et de perpétuer le souvenir de ses mérites, placer son portrait dans un temple ou dans un autre. Tantôt c'était la personne elle-même, tantôt les parents, les amis, les obligés de la personne qui faisaient l'offrande. Naturellement on choisissait les temples les plus vénérés, les lieux sacrés les plus fréquentés de la ville, de la région, de la Grèce toute entière. Voilà pourquoi Delphes et Olympie, déjà très riches des offrandes des dévots, s'enrichissaient encore chaque jour de tous les portraits que la vanité humaine tenait à déposer dans ces deux sanctuaires, les plus célèbres du monde hellénique; les Grecs des îles, de Sicile, d'Asie, les étrangers orientaux y consacraient des statues; les personnages les plus insignifiants comme les souverains y étaient représentés; c'était une profusion incroyable de portraits. Il faut s'imaginer tous les autres sanctuaires peuplés ainsi de statues humaines, à proportion de leur importance et de leur réputation chez les différentes nations grecques. D'ailleurs nul ordre dans la façon dont étaient groupées les statues. A Olympie les images des athlètes vainqueurs alternaient avec des images de généraux, de devins, de tyrans, de rois ou de philosophes : tout cela pêle-mêle, au hasard sans doute des places encore libres. A l'Acropole les statues étaient dispersées sur toute l'étendue du plateau, massées cependant de préférence en certains points, comme le sanctuaire d'Athéna Ergané qui s'offrait le premier aux regards du dévot arrivant sur la colline sainte.
Dans quels endroits du sanctuaire étaient placés les portraits? Chaque temple possédait l'image du culte,
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c'est-à-dire la statue de la divinité particulière pour qui le temple avait été érigé. Cette statue se dressait dans la partie la plus secrète et la plus vénérée de l'édifice, le vxt ou la cella. On comprend dès lors que plus le portrait était voisin de l'image même du dieu, plus l'honneur était grand'. Mais il ne semble pas que dans la Grèce indépendante cet honneur ait été souvent conféré. L'exemple du vieux sculpteur Cheirisophos dont la statue se trouvait à côté de celle d'Apollon, est une exception très raresi même nous interprétons bien le texte de Pausanias. C'est seulement, à notre connaissance, le roi de Pergame, Attale III, qui obtint cette place de choix dans le temple d'Asclépios à Llrca3, ainsi qu'un prêtre d'Artémis dans le temple de Cnide ° : tous deux sont dits dans les inscriptions partager le vxd;, la
chambre du dieu (as oç TCU 02t t?). Mais une pareille
faveur, on le voit, ne date que d'une époque tardive. Auparavant on plaçait les portraits dans les autres parties du vadç. Plus souvent encore, à cause du grand nombre de ces âva0r',uaTx dans certains sanctuaires, on les groupait en plein air dans l'enceinte sacrée ou T€u.svoç tout autour du temple. Nous parlions plus haut de l'avenue des Branchides 5 ; les abords de beaucoup de temples 6 étaient ainsi décorés des statues des prêtres, auxquelles s'en mêlaient d'autres de différents personnages. Les statues féminines découvertes sur l'Acropole entouraient l'ancien Parthénon ; or elles nous ont paru être des prêtresses, des servantes du culte et des Athéniennes de bonne naissance qui manifestaient par la consécration de leur image leur piété à l'égard d'Athéna 7.
Ces offrandes avaient la plupart du temps un caractère privé. De là le grand nombre que les temples en renfermaient. Il n'était pas nécessaire, pour dédier son portrait, d'avoir remporté une victoire aux grands jeux ou rendu des services à l'État. Il suffisait d'avoir un parent affectueux, un ami dévoué, un obligé reconnaissant; il suffisait d'avoir soi-même le désir de ne pas périr tout entier et de se survivre dans un monument de bois ou de pierre. Isocrate avait dans l'Olympieion une statue dédiée par son fils adoptif Aphareus, une autre à Éleusis dédiée par son ami Timothée 8. Le père de Léocratès avait orné le temple de Zeus Soter de sa propre statue 0. Si Pausanias nous dit rarement quelle est la personne qui a fait la dédicace, les inscriptions nous apportent à ce sujet des témoignages très nets". 11 était rare que les statues fussent consacrées au nom de l'État. La chose se comprend ". Dans cette énorme quantité de monuments qui encombraient le temple ou les abords du temple, on ne pouvait apercevoir qu'un ensemble : on ne distinguait pas les statues particulières. Quand le portrait était une offrande privée, un àvlOr;u.a, l'inconvénient était de peu d'importance, puisque l'on cherchait à honorer moins la personne que la divinité. Mais quand l'État consacrait un portrait, c'était pour reconnaître les mérites d'un citoyen : c'était un portrait honorifique. Il fallait donc choisir des endroits où cette marque d'honneur ne fût pas ignorée. Les places publiques et les édifices profanes, à cet égard, convenaient mieux que les temples. Tout au
moins, s'il arrivait à l'État de consacrer dans un temple l'image d'un citoyen, avait-il soin de lui réserver l'endroit
dit que c'était la cella, la chambre même du dieu, d'où étaient exclus justement les portraits, offrandes des particuliers. Ainsi les Plaléens avaient mis le portrait de leur général Arimnestos dans le temple d'Athéna Aréa aux pieds mêmes de la déesse 12 ; les Argiens, l'image de la poétesse Télésilla, qui avait sauvé leur ville, devant la statue d'Aphrodite". De la même façon étaient placés Alcibiade, Timothée et Conon dans l'Héraion de Samos, Lysandre,Étéonikos,Pharax dans l'Artémision d'Éphèse". Plus tard, les princes hellénistiques', après eux les empereurs romains 16 reçurent pareil honneur. A cette époque, les Athéniens eux-mêmes, par flatterie pour les puissants du jour, consacrent des portraits de souverains dans leurs temples 17. Mais jusqu'au I11° siècle avant notre ère (on reconnaîtra là leur fin discernement des convenances), ils avaient toujours refusé de mettre une image à l'honneur d'un mortel là où les offrandes, même les portraits des citoyens, devaient seulement servir à honorer les dieux. Une statue honorifique consacrée comme i' Oriux, c'est un contre-sens. Toutes les villes, du reste, en avaient le sentiment, même lorsqu'elles n'observaient pas cette distinction. La preuve, c'est que le portrait placé dans le temple ne leur paraissait pas être la récompense suffisante du citoyen : très souvent elles ajoutaient un portrait sur la place publique, dans un gymnase ou un portique C'était celui qui comptait réelle ment, la vraie marque honorifique. Attale de Pergame avait, deux statues à Élis, l'une dans l'Asclépieion, l'autre sur l'agora 18. L'image d'un certain Théopompe d'Érétrie était à la fois dans le temple d'Artémis et dans le gymnase de la ville 18, celle de Trébellius Itufus dans tous les temples, mais aussi sur toutes les places importantes d'Athènes20. Pour les portraits des athlètes ou, plus généralement, des vainqueurs aux jeux donnés dans une enceinte sacrée, il faut faire une remarque : ils étaient tout naturellement placés dans le temple auprès duquel les jeux avaient été célébrés. A Corinthe, à Delphes, à Olyrnpie surtout, on sait la multitude de ces statues de vainqueurs. Mais ce n'étaient ni des portraits honorifiques consacrés par l'État, ni des offrandes que l'on permettait aux particuliers de consacrer eux-mêmes. C'était un droit pour les vainqueurs de les placer dans les divers
sanctuaires. C'étaient des û7ou.tnip.x' T~ç v(xr,;, des sou
venirs de victoire, non des âvxOrN.xTx; et cette distinction persista très longtemps, jusqu'au ter siècle avant notre ère 21. C'est seulement dans le cas oit le portrait était dédié dans la patrie même du vainqueur, au lieu de l'être dans l'enceinte où s'étaient donnés les jeux, que l'État lui-même en faisait la dédicace, et, pour honorer l'athlète dont il était si fier, le plaçait dans l'endroit le plus en évidence, à côté de l'image du dieu. La statue du coureur Ladas était à l'intérieur du vatls (barbe,Tou vaoû) 22 Il en était de même de l'olympionique Kreugas que ses concitoyens d'Argos honorèrent après sa mort dans le temple d'Apollon Lycien23
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Pour se faire une idée de la quantité de portraits déposés dans les édifices religieux, aux statues' il faut joindre les tableaux, dont le nombre devrait être encore considérable. Ces tableaux étaient des âvx83jtt.=t.
les mots qui reviennent sans cesse chez les écrivains ou dans les inscriptions. Souvent c'étaient des offrandes privées. Les enfants de Thémistocle, revenus de l'exil, dédient au Parthénon le portrait de leur père 2. Alcibiade dédie lui-même sur l'Acropole son image, peinte par Aglaophon ; il la place dans un édifice, situé à gauche des Propylées et qui participait du caractère sacré de la colline tout entière3. Sur un vase peint, on voit un athlète vainqueur portant son pinax peint au sanctuaire voisin' (fig. 1336). Les dévots guéris suspendaient dans les temples d'Esculape leur portrait en ex-voto', ou bien une association, un collège faisait la dédicace, comme ce collège d'artistes scéniques qui consacre dans le temple de Bacchus l'image en pied d'un musicien célèbre 6. Souvent aussi les offrandes étaient au nom de l'État. Les Corinthiens récompensèrent les hiérodules d'Aphrodite d'avoir pris part à un voeu national lors de l'invasion des Perses, en plaçant dans le temple de la déesse un tableau où chacune d'elles était représentée'. Un décret honorifique, retrouvé dans la presqu'île du Pirée, ordonne que l'image peinte d'un certain Ilermaios sera consacrée dans un temple 8. Bien des inscriptions mentionnent ces consécrations officielles. Plus d'une fois, dans les honneurs rendus à un particulier, la statue de bronze ou de marbre était accompagnée, outre le portrait peint sur bouclier, d'un tableau en pied °.
Les mêmes raisons pour lesquelles un donateur avait placé sa statue dans tel sanctuaire plutôt que dans tel autre, étaient celtes aussi qui le guidaient quand il avait à dédier son portrait en peinture : il avait à s'acquitter d'un voeu ; ou bien quelque autre circonstance particulière de sa vie faisait de lui l'obligé du dieu. Lorsqu'il n'était pas tenu à honorer spécialement telle divinité et qu'il voulait seulement prouver sa piété en général, il choisissait, pour déposer son offrande, le sanctuaire le plus renommé. Un tableau, comme une statue, étant un objet d'ornement sacré, pouvait prendre place dans n'importe quel temple. C'est ainsi que les grands centres de la religion hellénique, l'Iléraion de Samos, l 'Artémision d'Éphèse, l'Asclépieion de Cos, le temple de Delphes, le Parthénon, virent tant de portraits accumulés dans leur enceinte. Ils renfermaient, accrues de siècle en siècle, de véritables galeries de tableaux et de statues. C'étaient des sortes de musées f0. Ils le devinrent de plus en plus avec le progrès des années. A mesure que les croyances religieuses s'affaiblissaient, ce n'était plus que la vanité humaine que chacun voulait satisfaire en recherchant pour son image les lieux les plus célèbres. S'expliquerait-on autrement la présence de la statue de Phryné dans le sanctuaire de Delphest1? Et si le portrait d'Antigone peint par Apelle fut placé dans l'Asclépieion de Cos 12, ne fut-ce pas simplement parce que là étaient exposés la
'Vénus Anadyomène du même maître13 et beaucoup d'autres chefs-d'oeuvre? Dès cette époque en effet prédomine la tendance de rassembler dans un même endroit le plus grand nombre possible de monuments de l'art. Certains édifices perdent en partie leur caractère sacré et deviennent, comme Strabon te dit de l'lléraion de Samos 1', des dépôts de tableaux, des pinacothèques. Ce dernier mot, qui date de l'époque romaines, est déjà vrai des derniers temps de l'époque grecque.
Ces tableaux étaient disposés dans les temples suivant certaines convenances artistiques ou certains besoins du culte qu'il nous est bien difficile de connaître aujourd'hui. Cependant nous pouvons démêler qu'ils décoraient à la fois l'intérieur et l'extérieur des temples. À l'intérieur ils étaient distribués soit dans l'édifice principal, soit, comme à Éphèse et à Delphes, dans une édicule particulière que Pausanias appelle oat-ri àz 10. A l'extérieur ils étaient placés sous les portiques qui entouraient l'édifice, généralement suspendus aux murs du pronaos et de l'opisthodome. A Rhodes le temple de Dionysos, à Platées celui d'Athéna Aréa à Messène un temple où se voyait la suite des rois de Messénie ie, au Pirée le temple de Zeus Soter avec les portraits de Léosthène et de ses enfants 1°, avaient leurs peintures exposées sous le péristyle extérieur. Quant à la manière dont les tableaux étaient placés sur les murs, nous avons dit que la question restait encore pendante 20. Toutefois, en tenant compte de l'exagération de sa théorie, il semble qu'on doive accorder à Raout-Rochette que les peintures grecques, au moins à partir de la fin du ve siècle, étaient le plus souvent non des fresques, mais des « tableaux attachés d'une manière quelconque à la muraille2t n. Certains faits seraient inexplicables sans cet usage, et notamment tous les déplacements et transports auxquels fut soumis, de la part des souverains hellénistiques et surtout des Romains victorieux, un si grand nombre de ces peintures. Les tableaux étaient simplement suspendus à la paroi ou bien encastrés dans la paroi ellemême. Dans ce dernier cas, « on pratiquait dans l'épaisseur du mur un enfoncement ou encadrement où venait se placer le panneau de bois peint" ». Au Théseion on a trouvé, autour de la cella, un enfoncement de ce genre, d'un demi-pouce de profondeur23. Il ne peut avoir eu pour but que de maintenir, sans qu'il fût besoin de ferrures, le tableau, dont la dimension et l'épaisseur s'ajustaient exactement dans la cavité ménagée à cet effet. Raoul-Itochette croit que les Grecs devaient se servir,
pour désigner cet encadrement, du mot réceptacle à figure, niche, mot qui nous est connu, avec un sens équivalent, sous sa forme latinisée, zotheca'5. Il n'est pas douteux, en tout cas, que beaucoup de portraits peints ont été encastrés dans la muraille des édifices.
Pour les images exécutées sur disques ou boucliers, on employait la double disposition en usage pour les portraits sur bois. Tantôt on les suspendait, tantôt on les insérait dans la paroi. Quand on les suspendait, on les appliquait aux murs, à la frise des temples, au haut
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des colonnes'. Pour les encastrer, on leur préparait dans la muraille un encadrement en creux, b77ao0ifixr; (niche ou armoire pour bouclier 2). L',t),00-r;xr; était pour les médaillons de bois ou de métal ce que la to0-gr_i était pour le tableau proprement dit.
L'État, nous l'avons vu, n'avait pas l'habitude de consacrer dans les temples l'image des citoyens qu'il voulait honorer. Il avait d'autres emplacements réservés aux portraits honorifiques, les lieux publics d'un caractère profane. Non pas tous, cependant. Les portes des villes, communément décorées d'images divines, les rues où se pressait la foule des hermès, ne recevaient aucune image humaine. La seule statue d'homme qui ait été placée, à notre connaissance, dans une rue', le fut pour une circonstance bien spéciale (elle se dressait à l'endroit même où celui qu'elle représentait, un certain Mnésibulos, était tombé en défendant sa patrie), et elle date d'une époque bien tardive, l'époque de Pausanias. Mais dans les prytanées, par exemple, c'est-à-dire les lieux où brûlait le feu sacré, on honorait ceux qui avaient rendu des services ou donné de l'illustration à la cité : dans le prytanée d'Athènes, Miltiade et Thémistocle", le général Olympiodoros 5, le célèbre paneratiaste Autolykos 6, dans celui de Syracuse, la poétesse Sapho, dont la ville avait commandé le portrait à Silanion7. Le Boulcutérion, ou salle du conseil, recevait aussi des portraits. A Athènes on y avait mis les Thesmothètes peints par Protogènee. De même, le Pompeion, l'édifice qui servait à la préparation des pompes ou fêtes publiques, contenait une statue en bronze de Socrate°, des portraits peints d'Isocrate70 et des poètes comiques". Mais c'était l'agora et les portiques entourant l'agora qui étaient surtout remplis de portraits. Rien de plus naturel. La place du marché était l'endroit le plus spacieux, et aussi l'endroit fréquenté par excellence, le centre de la vie antique. C'est donc là qu'un portrait honorait, plus que nulle part ailleurs, un citoyen ou un étranger : il se trouvait sans cesse sous les yeux du peuple, lui rappelant les mérites du personnage. Ainsi la première condition pour obtenir cette récompense était de bien mériter de la patrie ; mais il suffisait d'en bien mériter à un titre quelconque, et les classes les plus différentes étaient représentées sur l'agora. Prenons, entre autres exemples , l'agora d'Athènes. Qu'y voyait-on? D'abord les héros éponymes fondateurs de la cité '2, ou les héros libérateurs, comme Harmodios et Aristogiton", près desquels il était même défendu d'ériger aucune autre statue"; puis les généraux illustres, Callias15, Conon, Timothée 16, Chabrias
Phaidros18; les souverains hellénistiques aussi, qu'on cherchait à flatter par cette marque d'honneur, Séleucos de Syrie", Satyros, Gorgippos, Pairisades, Spartokos, princes du Bosphore20 ; mais plus encore (la race grecque garde jusqu'à la fin le goût de l'art et de la littérature, le culte de l'intelligence) les grands hommes d'État, les
orateurs, les poètes, les musiciens, Lycurgue", Démosthène et son neveu Démocharès22, Pindare et son maître Lasos 23. Les vainqueurs aux grands jeux n'étaient point honorés sur l'agora; l'emplacement habituel de leurs statues était l'enceinte sacrée, le téménos où s'étaient donnés les jeux. Le cas du pancratiaste Arrhachion à Phigalie est un cas isolé, et qui s'explique par la mort de l'athlète survenue dans sa victoire 2Y. Les portiques, bien entendu, étaient fréquentés comme les places. C'est là qu'on se réunissait pour causer, qu'on se mettait à l'abri du soleil et de la pluie. C'est donc là aussi qu'on groupait des statues et des tableaux. LePeecile contenait, outre les portraits peints de Miltiade et des autres héros de Marathon", celui de Sophocle dans le rôle de Thamyris 2°. A Élis, Pyrrhon le sceptique et sans doute d'autres philosophes étaient représentés sous une double colonnade séparée par un mur27. Des monuments plus considérables, rappelant quelque épisode glorieux de l'histoire de la cité, prenaient place également dans les portiques : à Athènes c'étaient les statues d'habitants de Trézène qui avaient, lors de l'invasion médique, recueilli les femmes et les enfants athéniens26; à Lacédémone, c'étaient celles de Mardonios et des chefs perses, de la reine Artémise, les vaincus de Salamine ",
Non seulement les temples, les places, les portiques, mais tout lieu où se rassemblait le peuple, que ce fût pour prier, traiter des affaires, ou se divertir, paraissait propre à recevoir des portraits. Parmi ces lieux de réjouissances, parlons d'abord des odéons et des théâtres. On y élevait des statues à toute espèce de personnages. Dans l'odéon d'Athènes il en est qui sont dédiées à Philippe, Alexandre et Lysimaque", aux reines égyptiennes Arsinoé et Bérénice 71 ; dans le théâtre de Tégée, à Philopoemen 32 ; dans celui d'Athènes, à l'empereur Hadrien". Toutefois, le plus souvent ceux qui étaient ainsi honorés étaient des poètes, tragiques ou comiques (Eschyle, Sophocle, Euripide, Ménandre 3Y), des comédiens 35, des musiciens 3c, des virtuoses d'espèces très différentes, même d'ordre très inférieur, comme le faiseur de tours Théodoros r, mais des hommes encore tenant de près ou de loin au théâtre.
Les gymnases peuvent figurer au nombre des lieux de récréation : la jeunesse se livrait avec joie aux exercices physiques et le public éprouvait un non moindre plaisir à voir ces beaux corps déployer leur souplesse ou leur force. On ornait les gymnases de statues qui eussent en cet endroit leur raison d'être toute naturelle. On y mettait ceux qui, à leurs frais, avaient doté la ville d'un établissement de ce genre 38 ou rendu un service particulier à la jeunesse (Théopompe d'Érétrie pendant longtemps fournit l'huile destinée à la palestre3"), les-gymnasiarques qui avaient bien rempli leur emploi 40, les cosmètes dont on avait à se louer41, puis les éphèbes ou les hommes mi1rs qui par les formes accomplies de leur corps ou leurs exploits gymniques étaient des modèles à proposer à tous les Grecs, enfin, puisque
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l'éducation hellénique était le développement harmonieux de tout l'être et qu'une part égale y était faite à l'esprit et au corps, ceux que l'on considérait comme les directeurs intellectuels de la jeunesse, les historiens, les philosophes, les poètes 1.
Peut-être les écoles possédaient-elles aussi des portraits d'écrivains illustres; mais nous les connaissons mal, et si la conjecture est vraisemblable, elle n'est pas démontrée. Dans les jardins d'Académos où Platon avait enseigné, était le portrait du maître, oeuvre de Silanion2, dans le tlluseion une statue d'Aristote, élevée à la demande de Théophraste3. Sur les bibliothèques, nous ne sommes guère mieux informés que sur les écoles. Il est certain toutefois que Pollion, en décorant la première bibliothèque publique de Rome avec les portraits des auteurs célèbres, prit modèle sur les rois d'Alexandrie et de Pergame, les Ptolémées et les Attales. Pline le laisse bien entendre` : il ne faisait que suivre une coutume hellénique. Ces bibliothèques des princes grecs étaient-elles décorées de peintures en même temps que de bustes? La chose est possible. Les rois de Pergame aimaient aussi les collections de tableaux. Attale, après le désastre de Corinthe, avait recueilli un grand nombre d'lnuvres de l'école corinthienne, dont il avait constitué une riche pinacothèque; elles étaient déposées dans un édifice appelé 'A'r.z),ou Ozaxuos'.
Ces édifices mi-privés, mi-publics nous amènent aux lieux purement privés. Les statues-portraits pouvaient concourir à la décoration des parcs ou jardins des villas somptueuses. Mérode Atticus, après avoir perdu ses pupilles, Achille et Polydeuce, avait rempli de leurs images les bosquets et les champs d'alentour'. Mais c'est surtout dans les pièces d'habitation qu'on se plaisait à réunir des portraits. Les parents et les amis y étaient représentes, puis les écrivains favoris, poètes, orateurs ou philosophes. Le culte des disciples d'Épicure pour leur maître est bien connu. S'ils portaient au doigt, montée sur bague, l'image du philosophe 7, à plus forte raison possédaient-ils son buste dans leur demeure 8. L'éternel malade Eucratès avait une statue d'Hippocrate, à laquelle il offrait certains jours déterminés des couronnes et des sacrifices'. Enfin l'on cherchait à acquérir des portraits, uniquement à cause de leur réputation et de la valeur artistique de l'oeuvre. Ce même Eucratès, riche Athénien, avait chez lui, comme décoration d'appartements 10, le groupe des Tyrannoctones, de Critios et Nésiotès, et le général corinthien Pellichos, statue célèbre de Démétrios.
Nous avons réservé pour la fin les lieux de sépulture, les nécropoles. Les portraits funéraires sont une classe nombreuse en elle-même, mais surtout ce sont les monuments qui ont été le mieux respectés. La coutume de placer l'image du mort sur sa tombe est venue d'Égypte en Grèce. En Grèce même, elle est fort ancienne. Dès le vle siècle, beaucoup de statues du type des Apollons archaïques étaient, on s'en souvient, des tentatives, bien grossières sans doute, de portraits funéraires".
Ces images pouvaient donc être, pour les sépultures les plus riches, des figures en ronde bosse. Des bases de monuments funéraires ont été retrouvées, qui devaient supporter des statues véritables12. La présence des statues sur les tombes est encore indirectement confirmée par un décret de Solon, qui défend une décoration aussi luxueuse pour l'avenir 13. Le décret, du reste, n'empêcha rien, puisque Démétrios de Phalère fut obligé de le renouveler. Au ve et au vie siècle on continua à recourir à la statuaire pour orner les sépultures. Pausanias mentionne un guerrier debout à côté de son cheval, œuvre de Praxitèle'?. Nous avons conservé de cette époque la prétendue Pénélope du Vaticane", les pleureuses d'un tombeau de Ménidi", une femme
drapée et voilée du Louvre 17, type de ces ntatronae /lentes, dont parle Pline 18 et qui seront si souvent reproduites dans l'art gréco-romain, les couples héroïsés trouvés à Andros et à fEgion1°. Pour les temps postérieurs, des épi
grammes sépulcrales de l'Antiiolo.gie attestent la persistance des statues funéraires2°. Une des rares et plus intéressantes statues funéraires que nous ayons conservées est celle du roi Mausole, placée dans le célèbre édifice que sa femme Artémise lui avait élevé vers 353 avant Jésus-Christ. C'est un des plus anciens et des plus artistiques portraits grecs que nous possédions (fig. 3906)21; la statue d'Artémise, plus mutilée, est également au Musée Britannique 22. On plaçait sur la tombe d'autres portraits que le sien ;
Théodectès de Phasélis avait décoré son monument, situé sur la route d'Éleusis, des statues des plus célèbres poètes grecs depuis Ilomère 23. Les portraits étaient presque toujours en pied. C'est seulement par exception et par raison d'économie ou manque de goût qu'on se bornait à des demi-figures 2'`. Les statues d'hommes sont généralement représentées debout (les Apollons, le guerrier de Praxitèle, le jeune homme d'Andros) ; les femmes, qui sont quelquefois debout (celles d'Andros et d'lEgion), sont plus souvent assises (la Pénélope, les pleureuses). Quant au type de la femme couchée (l'Ariane du Vatican) 25, si, comme il est vraisemblable, il a servi à la décoration des tombes, on ne doit pas le faire remonter plus haut que l'époque hellénistique.
Mais ce n'étaient pas les statues funéraires que l'on employait le plus fréquemment pour représenter l'image du mort. C'étaient les stèles, plaques de marbre, longues et minces, dressées sur les tombeaux, d'abord couronnées d'une simple palmette, puis surmontées d'un fron
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ton comme une sorte d'édicule. Il y en avait de peintes : la stèle de Lyséas (fig. 3962), celle d'Aineios (fig. 3965) et celle de Tokkès nous en ont offert des exemples'. Plus souvent elles portaient des bas-reliefs, rehaussés, il est vrai, des tons variés et délicats de la polychromie. La stèle d'Aristion (fig. 3963), surnommé le Guerrier de Marathon, a encore des traces de peinture très visibles'. Les plus simples, comme aussi les plus anciennes, représentent le mort seul, au milieu des occupations de sa vie, avec ce qu'il a aimé sur terre. Aristion a le costume de guerre, casque, lance, cuirasse. Alxénor de Naxos est tranquillement appuyé sur un long bâton, comme un bourgeois paisible, et regarde son chien favori'. Ceux-ci sont debout; au ve siècle, les attitudes s'assouplissent et les personnages sont assis. Ils ont toujours des attributs qui rappellent leur condition sociale ou leurs goûts d'autrefois. Xanthippos le cordonnier tient une forme à chaussures" ; la jeune Mynno, une corbeille à laine auprès d'elle, file sa quenouilles. A cette figure s'en joignent bientôt d'autres, petits esclaves ou suivantes. Pour varier les attitudes, l'une des figures est debout, l'autre assise : une mère reçoit son enfant des mains d'une suivantes; llégéso tire d'un coffret, que lui tend une de ses femmes, une parure qu'elle contemple longuement, avec regret'. Ailleurs les personnages paraissent plongés dans de mélancoliques réflexions; leur douleur est pleine de rési
gnation (fig. 3967)8. Un sujet des plus communs, c'est ce que l'on appelait autrefois les scènes d'adieu (la séparation opérée par la mort), où l'on voit plutôt aujourd'hui des scènes de réunion (dans le séjour souterrain). Quoi qu'il en soit, le défunt, d'ordinaire assis, échange une poignée de main avec quelqu'un des siens. La scène, au ve siècle, ne comprend d'abord que deux personnages Ménél:rateia et Ménéas, Mika et Amphidémos, Mika et Dion 9). Au ive, elle se complique, comporte plus de
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DIA.
figures. Voici Prokleidès et son fils Proklès au premier plan, tandis qu'Arehippé, la mère, est debout derrière euxjD. Voici même quatre personnages : Korallion serre la main de son époux Agathon ; dans le fond un homme d'âge mur et une suivante assistent à la scène". Il est inutile d'insister davantage. Maris, femmes, mères et enfants, jeunes gens et guerriers, tous les âges, toutes les classes de la société sont représentés sur les stèles. Le culte des morts est la plus ancienne et la plus sacrée des religions. Même les artisans, même les plus humbles citoyens commandent pour quelques drachmes au marbrier leur propre image ou celle de leurs parents. Aussi tous ces portraits funéraires s'étaient-ils multipliés en nombre considérable. Quand je dis portraits, il va de soi que l'on ne doit pas entendre le mot au sens moderne. Les visages manquent de tout accent individuel; ils ne sont point ressemblants. D'abord la plupart des stèles sont des oeuvres d'industrie; le marbrier trouve plus commode, plus à la mesure de ses forces, de s'en tenir à quelques types tout faits qu'il n'a guère qu'à répéter. Il y a une autre raison. Le mort, dans les croyances des anciens, revêt un certain caractère divin. Intermédiaire entre les dieux et les hommes, il devient un héros. Le sculpteur est donc conduit à prêter à tous ces défunts héroïsés un même type conventionnel, idéalisé ; et plus les stèles seront soignées, dépasseront le niveau de la simple industrie pour atteindre au grand art, plus aussi elles reproduiront les traits du mort sous des formes générales et nobles. Mais, nous l'avons dit au début, il suffisait, pour qu'il y eût portrait chez les anciens malgré l'impersonnalité de la figure, que l'image reçût une attribution précise et se rapportât dans la pensée du sculpteur ou du donateur à une personne bien déterminée. Après les stèles funéraires, nous voyons se développer
dans la sculpture grecque l'usage des sarcophages historiés dont les Romains feront plus tard un usage si ['ré
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quent. Le plus bel exemple de ces sarcophages grecs sculptés est sans conteste celui du musée de Constantinople que la renommée a déjà baptisé du nom de « sarcophage d'Alexandre » et où l'on croit retrouver, à plusieurs reprises, les traits du célèbre conquérant (fig. 3968) ', mêlé à des scènes de bataille et de chasse.
Les personnages représentés. Devons-nous maintenant, pour résumer et conclure, après avoir indiqué les différents endroits oh étaient placés les portraits, énumérer les différentes sortes de personnes que l'on représentait?La réponse à cette question, il nous semble, ressort de tout ce qui précède. Rappelons la grande distinction que nous avons établie entre les portraits dits honorifiques, commandés par l'État, et les portraits, offrandes ou souvenirs des simples particuliers. Les portraits honorifiques ne sont accordés qu'à ceux qui ont rendu des services à la cité. Il est vrai que ces services peuvent être d'ordres très divers : un acteur comique, un citharède, même un joueur de gobelets a droit, quand il a diverti le peuple, à cette récompense publique aussi bien qu'un magistrat ou un chef d'armée. Hommes d'État, généraux, souverains, athlètes, guerriers, artistes, écrivains, philosophes, riches bienfaiteurs de la ville sont également représentés.
Ces portraits étaient dédiés sur les places ou dans les autres lieux publics d'un caractère profane. C'étaient des endroits que l'État se réservait à lui seul, et nul n'y aurait pu placer son image en son nom particulier. Mais les citoyens, qui n'avaient aucun titre à une récompense de l'État n'étaient pas pour cela privés d'avoir leur portrait dans un lieu public. Les lieux sacrés leur étaient ouserts, pour lesquels il n'était besoin d'aucune autorisation officielle. Il suffisait que le prêtre, le représentant du dieu, ne mît pas d'obstacle, et il n'en mettait que dans de rares circonstances, lors d'un forfait grave ou d'un crime qui rendait le donateur indigne. Ainsi quiconque, peut-on dire, voulait consacrer son portrait à la divinité, était libre de le faire. Voilà pourquoi nous avons rencontré sur notre route tant de personnages si différents représentés dans les sanctuaires, des prêtres comme des courtisanes', des dévots ignorés comme les plus grands nones de la Grèce. Ceux enfin qui n'avaient pas eu l'occasion durant leur vie de dédier leur image dans un temple, ne manquaient pas du moins, à leur mort, de commander qu'on plaçât sur leur tombe une statue ou un bas-relief pour rappeler leur souvenir. Si donc nous voulions passer en revue les diverses catégories de citoyens dont l'antiquité a connu des portraits, c'est toutes les classes de la société qu'il faudrait citer, des rois et des tyrans aux petites gens du peuple, toutes les variétés d'esprits, des plus hautes intelligences de penseurs ou d'écrivains à l'âme humble et obscure de l'artisan. Tout le monde ne pouvait pas recourir à l'art d'un Lysippe ou d'un Apelle; mais tout le monde, même le cordonnier Xanthippos', même le forgeron Sosinos 4, trouvait moyen d'avoir son portrait.
ÉTnuntE. Avant de passer à Rome, il est bon de re
marquer tout ce que l'art latin doit à la civilisation étrusque, plus ancienne que lui. L'art du portrait, en particulier, a ses racines dans l'importance que les Étrusques ont de tout temps attri
buée aux images des morts, et le jus imaginum, dont nous parlerons plus loin, a sans doute son origine dans leur rituel funéraire [FONDS, p. 1383, 1384]. On cherchait avant tout à assurer l'immortalité du défunt, comme en Égypte, par la multiplicité des images qui le représentaient. De là cette quantité énorme de portraits funéraires sous forme de canopes (fig. 3969) de statues cinéraires, et probablement aussi de pinakes peints qui ont dis
paru. Certaines de ces images d'arrig.3969 -Canopeétrnsque.
gile ont une intensité de vie et d'ex
pression remarquable, en dépit d'une exécution souvent rude. On comprend pourquoi les Romains, mieux encore que les Grecs, devaient réussir dans l'art des portraits et nous donner l'admirable série de bustes que possèdent les grands musées d'Europe. 11s ont été dès l'origine à l'école des Étrusques qui leur ont transmis ce goût pour le réalisme vivant que les Grecs avaient le plus souvent écarté de parti pris'. La statue de bronze que l'on appelle l'A;ringatore est une des meilleures statues-portraits que l'antiquité nous ait léguées (fig. 2819) '; elle reproduit les traits d'Aules Metelis et le style la fait considérer comme une oeuvre tout particulièrement étrusque a. Enfin, dans les fresques peintes sur les parois des tombeaux, it n'est pas rare de rencontrer des personnages marqués d'un trait assez individuel pour que nous ayons le droit de les considérer comme de véritables portraits. En certains cas, les inscriptions étrusques placées côte à côte ne laissent subsister aucun doute'. Une des peintures les plus célèbres de Voici reproduit les traits de deux hommes nommés Mastarna et Vibenna (fig. 2770)", oh l'on croit reconnaître des Étrusques qui ont joué un rôle historique important dans les premiers temps de l'histoire de Home 11. I1 est essentiel de tenir compte de ce trait particulier de la race étrusque, si l'on veut bien comprendre l'histoire du portrait à Rome.
Rom. Définitions. Le terme le plus général dont se servaient les Romains pour désigner un portrait était le mot imago. Signum et simulacruin se disaient des représentations divines, signum quand il s'agissait d'une statue12, sinlulacrum quand il s'agissait d'une statue ou d'une peinture f3. Imago, a ucontraire (de imitor, imitago), signifie l'imitation de la vie réelle et s'entend de la représentation d'une personne humaine. Qu'il indique une statue, c'est ce que prouvent nombre de passages 1'. Mais il s'applique aussi à une peinture 15. C'est même là plus proprement son emploi : image peinte ou image de cire coloriée. Il signifie image peinte, car il s'oppose très souvent à statua, le portrait sculpté;
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imagines et slatuae sont deux mots qui vont ensemble' et qui ont donc des sens différents. Quant aux images de cire coloriées, il suffit de rappeler les portraits bien connus des ancêtres, les imagines majorum. Voilà donc déjà, à côté du sens général, un premier sens plus particulier. Il y en a un autre. Par opposition non plus à statua seul, mais à statua et à clipeus, imago veut dire exactement un buste. Les Romains, n'ayant pas comme les Grecs un mot spécial pour désigner cette dernière forme de portrait, ont dû se contenter de recourir au mot général, mais en lui donnant un sens très restreint. Une inscription trouvée sur l'emplacement du temple de Diane à Némi ne laisse aucun doute à cet égard Parmi les objets déposés dans le sanctuaire, il est question de dix-sept statues ou statuettes de divinités (signa), d'un clipeus, bouclier ou médaillon avec figure sculptée ou peinte, et de quatre imagines d'argent. Opposé aux portraits en pied et aux portraits sur médaillons, le mot imagines ne peut ici avoir signifié que des bustes. Une inscription nous parle de même d'un buste d'argent en saillie sur un médaillon de bronze (imago argentea cura aereo clipeo). Effigies enfin ne perd son sens très général de représentation et d'image que dans les funérailles des gentes aristocratiques (les fanera gentilicia)3; il désigne alors soit les portraits de la famille exposés dans la cérémonie', soit le masque en cire du défunt placé sur le cadavre lui-même ou porté, à la suite du char, par un acteur qui se l'applique sur le visage
Circonstances où les portraits se produisaient.
Nous avons vu le rôle important que le portrait avait joué dans la vie hellénique. Peut-être a-t-il tenu dans la vie romaine une place plus considérable encore. Les Romains, avec leur esprit essentiellement pratique et positif, leur goût de la réalité et leur sens de l'utile, devaient, plus que tout autre peuple, se plaire au portrait. C'est un art, en effet, utile au premier chef : il glorifie, il perpétue le souvenir. Les familles nobles conservaient toutes pieusement les traits de leurs ancêtres. L']itat honorait d'une statue ou d'un portrait peint, plus souvent d'une statue, les citoyens qui avaient bien mérité de lui. Les lettrés possédaient dans leurs bibliothèques l'image des hommes célèbres, poètes, philosophes, historiens, orateurs. Des particuliers enfin commandaient leur propre image, celle de leurs parents ou de leurs amis. Sous l'Empire, tantôt la reconnaissance envers un prince bienfaiteur de ses peuples, tantôt (et plus fréquemment) les flatteries à l'égard d'un maître puissant et redouté, multipliaient en tous lieux, publics et privés, les portraits des empereurs, et non seulement des empereurs, mais de leurs épouses, des membres de leur famille, de leurs favoris. Les provinces aux gouverneurs, les municipes à leurs magistrats ou aux particuliers bienfaisants, les associations à leurs protecteurs, les clients à leurs patrons accordaient ces mêmes honneurs. A partir du ter siècle de notre ère, il n'était guère de citoyen, même parmi les plus humbles, qui n'eût ses traits sculptés en relief sur un sarcophage, s'assurant par delà le tombeau comme une prolongation d'existence. Dans
bien d'autres circonstances encore que nous retrouverons sur notre chemin, les portraits pouvaient se produire. Ce qui précède montre déjà combien étaient nombreuses ces occasions de dédicaces. A vrai dire, tout pouvait être prétexte à la commande d'une statue, au moins d'un buste ou d'un tableau. Le goût du portrait, qui avait toujours été très vif chez les Romains, devint une mode dans le dernier siècle de la République. Cette mode sous l'Empire devint une fureur. Elle se maintint jusqu'à la fin du paganisme 7.
Matières qui ont servi au portrait. Toutes les matières qui avaient servi aux peuples helléniques pour leurs portraits se retrouvent ici en usage chez les Romains : sans compter certaines autres auxquelles les Grecs n'avaient point eu recours. Les plus anciennes statues que nous connaissions datent des premiers temps de la, République. Mais, avant cette date, il est vraisemblable que les Romains s'étaient déjà essayés au portrait. Les imagines majorum, dont il est si souvent question à l'époque historique et qui persistent sous l'Empire$, se rattachent aux plus vieilles habitudes de la vie romaine. Dès l'origine, les patriciens, par orgueil de famille, tinrent à posséder les portraits de leurs aïeux ; c'étaient comme leurs titres de noblesse et les preuves de la supériorité de leur race. Les premiers sculpteurs, rudes et grossiers ouvriers, taillèrent donc le bois ou modelèrent la cire à leur intention. Ce travail de la cire leur avait été enseigné, non par les Grecs, qui n'exécutèrent point de portraits en cette matière, mais par les Étrusques, habiles modeleurs°. Deux masques de cire, dont un seul s'est conservé (fig. 1291), ont été trouvés dans un tombeau de Cumes avec des restes de squelettes : les yeux étaient incrustés en pâte de verre 10. A l'époque historique, la première statue honorifique que nous trouvions, celle de l'ÉÉphésien llermodore", collaborateur des Décemvirs dans la rédaction des Douze Tables (7i50 av. J. C.), était en métal, comme toutes les statues consacrées antérieurement aux dieux. Le bronze a donc précédé le marbre. On continuera à s'en servir pendant toute la durée de l'Empire. Mais le goût fastueux de l'époque fera surtout employer pour les particuliers, et à plus forte raison pour l'empereur, le bronze doré. Du reste, sous la République déjà, la statue équestre d'Acilius Glabrio 12, le vainqueur d'Antiochus, plus tard celle de Sylla '° étaient des statues dorées.
Le marbre, cependant, une fois introduit à Rome vers le milieu dit ne siècle avant notre ère, ne tarda pas à devenir, surtout pour les bustes, la matière la plus eu usage. Témoin tous les bustes de nos musées que l'on rapporte aux derniers temps de la République'' (fig.1846, 1847, 2644, 2645, etc.). Ou si le marbre était trop cher, les gens de médiocre condition se rabattaient sur le plâtre. Ils aimaient mieux avoir des portraits en cette matière commune que de n'avoir pas de portraits du tout. Dans les appartements, dans les bibliothèques et les cabinets d'étude, les bustes en plâtre étaient fréquents. C'est en plâtre qu'étaient les Chrysippe, les Démocrite, les Zénon incultes" qu'on voyait, au temps de Martial et
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de Juvénal, chez les faux stoïciens et les autres charlatans de philosophie.
L'or et l'argent, quand il ne s'agissait pas de statues de divinités', étaient réservés, à quelques exceptions près', aux statues d'empereurs'. L'argent était encore, avec le bronze, la matière ordinaire de ces disques ou médaillons en forme de boucliers (clipei) dont nous avons trouvé la pratique si vivante chez les Grecs et qui furent non moins recherchés et commandés par les Romains. Le portrait d'Auguste sur bouclier d'argent était placé dans la curie 4, et, parmi les objets d'llerculanum, nous avons conservé un petit disque d'argent avec la tête de cet empereur 5. L'usage des portraits sur disques métalliques (imago clipeata) remonte très haut ; dès l'année 495 avant J.-C., Appius Claudius dédiait ainsi l'image de ses ancêtres dans le temple de Bellone Ils devinrent dans la suite tellement répandus qu'on en fit des imitations avec d'autres matières. Sur verre, sur pierres fines, même sur enduit, nous trouvons de ces réminiscences. Un camée antique avec la tête d'une prétendue Livie paraît bien nous en offrir un exemple', et les portraits en médaillons que nous montrent des peintures d'lierculanum 8 et de Pompéi9 sont certainement dérivés de la même coutume. Cette mode finit même, si nous en croyons Pline1', par supplanter complètement la peinture de portraits. Peut-être, cependant, ne faut-il admettre l'assertion de l'auteur latin qu'avec des réserves, car les médaillons de bronze et d'argent étaient coûteux et n'ont dû remplacer la fresque ou le bois que dans les atria des grandes maisons.
L'orfèvrerie employait souvent les portraits comme ornements de la vaisselle de luxe". C'était surtout des bustes d'argent, de véritables figures en ronde bosse qui décoraient, à titre d'emblema ou de pièce rapportée, le fond des patères. La figure d'enfant qui fait saillie sur le centre d'une coupe d'IIildesheim 12, a un type si individuel qu'elle pourrait bien être un portrait. La découverte du trésor de Bosco Reale est venue nous apporter de cet usage une preuve récente : une patère est ornée en son milieu d'un buste d'homme imberbe (fig. 3970), sans doute le propriétaire de la villa et du trésor ". Il semble que nous ayons ici un développement des portraits exécutés en relief sur les boucliers d'argent. La figure se détache en ronde bosse, au lieu d'être un simple relief; mais la patère, comme le bouclier, n'est toujours qu'un cadre destiné à la faire valoir. C'est ainsi, encore, que, sur un coffret d'argent faisant partie des meubles d'une ancienne toilette, une jeune femme et son mari sont sculptés en protomè dans un médaillon". Au temps de Justinien la vaisselle du palais de Constantinople était ornée du portrait de l'empereur''. Le médaillon enfermant l'effigie des deux empereurs régnants que l'on voit sur le bouclier du général (Aétius ou Stilicon) représenté sur le diptyque de Monza [meTyCnus, fig. 2458, doit sans doute être supposé en orfèvreriet6.
Les monnaies enfin nous sont un dernier exemple de
l'emploi des métaux (bronze, argent, or) comme matière servant au portrait. A l'époque républicaine, il était for
-est ~__
mollement interdit de représenter aucun personnage vivant sur les espèces frappées dans la ville', et personne, pas même le dictateur Sylla, n'osa violer cette défense. Mais hors de home, dans les provinces, les généraux, avec le droit de frappe pour les besoins des armées, avaient le droit d'effigie. Ils en usèrent d'abord légalement. Titus Quinctius hlamininus, qui le premier frappa des monnaies à son image, ne le fit que pendant sa campagne de Macédoine' 9. Mais les ambitieux devaient être un jour tentés d'exercer en Italie même et à Rome ce droit d'effigie qui était comme la marque extérieure de la puissance. Dans les guerres civiles César d'abord, puis les seconds triumvirs gravèrent leurs portraits sur les pièces qu'ils émettaient dans les ateliers urbains. Le sénat ratifia ce droit pour César devenu dictateur à vie", et Auguste, s'autorisant du précédent, se fit accorder le même privilège. Dès lors chacun des princes qui se succédèrent sur le trône, n'eut rien de plus pressé, pour affirmer sa souveraineté, que de frapper la monnaie à son nom et à ses types sur or et sur argent (fig. 158, 219, 338, 339, 385, 386, 497, 635, 658, etc.). Le sénat, de son côté, désireux de plaire au maître, plaçait l'effigie impériale sur les pièces de bronze, les seules dont la frappe lui eût été laissée. Quelquefois l'empereur conférait le droit d'effigie à un membre de sa famille. Agrippa figure (fig. 2012) sur certaines monnaies d'Auguste 29; de même Octavie : c'était la première fois qu'une Romaine obtenait cet honneur Y1; mais à partir des Antonins les portraits de femmes apparaissent fréquemment sur les monnaies.
Outre les véritables monnaies ayant cours légal, il y
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avait des pièces d'or, d'argent et de cuivre plus grosses que les monnaies ordinaires et qui restaient en dehors de la circulation, sans valeur d'échange. On les appelle des médaillons, à cause de leurs dimensions. Mais il ne faut pas les confondre avec les disques ou boucliers dont il a été question plus haut. Ils ne commencent qu'avec le règne de Trajan et ne portent que l'effigie des empereurs : ce sont les médaillons proprement impériaux. Ceux d'or et d'argent étaient fabriqués au nom du prince et distribués par lui comme insignes de sa faveur ou comme cadeaux officiels aux personnages marquants de l'État et aux chefs barbares qui reconnaissaient la suprématie impériale. Ceux de bronze, exécutés par ordre du sénat, étaient un hommage rendu à l'empereur, chaque année, aux calendes de janvier ou dans les diverses occasions solennelles d'une arrivée, d'un départ, d'un triomphe. D'autres fois, ils étaient suspendus aux enseignes militaires : nous y reviendrons '. Les médaillons, dits con
torniates [CONT0RNIATI NCMMI], n'apparaissent qu'après
Constantin (fig. 1917-1922) ; c'est en cuivre qu'ils étaient fabriqués. La destination en est encore inconnue; mais, ce qui nous intéresse, ils portent souvent sur une de leurs faces les portraits de cochers fameux dans les courses du cirque (agi/aloses), ou ceux de Néron et de Trajan, populaires dans le public des hippodromes, ou ceux de grands personnages de la Grèce et de Borne, Alexandre, Socrate, Vorace, Virgile, etc. 2.
Les pierres gravées, si en faveur auprès des Grecs, eurent peut-être chez les Romains une vogue encore plus grande. De très bonne heure Rome connut les cachets en pierre dure, s'il est vrai, comme le raconte Denys d'Halicarnasse, que Tarquin, après une victoire, fit enlever aux chefs étrusques les scarabées qu'ils portaient aux doigts3. Il est difficile de fixer la date à laquelle on commença à faire graver à Borne sur la pierre, des anneaux, des figures ou des emblèmes ; mais la coutume en était ancienne et ne lit que s'étendre dans la suite, à en juger par le nombre considérable de gemmes qu'on a découvertes dans toutes les parties du monde romain. Or les chatons des bagues étaient souvent ornées de portraits. Scipion l'Africain avait placé sur son cachet Scyphax vaincu ; Sylla, Jugurtha livré par Bocchus 4; Auguste, la tête d'Alexandre, puis la sienne propre
A côté des cachets ou intailles qui sont de la gravure en creux, la gravure en relief des camées occupait aussi l'activité des artistes. On montait richement les camées en or, on les enchâssait dans les parures, les bijoux, les bagues (fig. 3528), les colliers (fig. 3540) ; on en garnissait les parois extérieures des vases, des coffrets, des meubles; on les multipliait sur ses vêtements 6; et la plupart d'entre eux, non moins que les intailles, étaient ornés de portraits (fig. 147, 1855, 1858, 3517). Le Cabinet des médailles de Paris', la Galerie impériale de Vienne 8 possèdent sur pierres gravées la série presque entière des empereurs et des impératrices jusqu'à Caracalla. Qu'on regarde les célèbres carnées appelés l'Apothéose d'Auguste 9 (fig. 3518) et la Gloire d'Auguste 10, ou l'intaille
of' est représentée Julie, fille de Titus (fig. 3971)11, véritables joyaux par les dimensions et l'exécution, on se rendra compte à quel degré de virtuosité était arrivé cet art de la glyptique représenté par des maîtres comme Dioscouridès et ses fils (fig. 3522), comme Solon, Épitynchanos, Aspasios, Évodos, etc. Les gemmes étant très coûteuses et l'engouement pour les pierres gravées s'étant emparé de toutes les classes de la nation, l'industrie des faussaires ne devait pas tarder à apparaître pour satisfaire la passion des petites gens. C'est en pâte de verre qu'on imitait les gemmes; mais on les imitait à s'y méprendre. Grâce à• une coloration artificielle donnée à la pâte, on fabriquait de fausses pierres qui avaient toute l'apparence des véritables et portaient comme elles des représentations gravées. Chacun pouvait ainsi posséder soit une intaille servant de cachet, soit un camée de pur ornement, décoré de son propre portrait ou de celui d'une personne chère. C'est un trait bien connu que celui des disciples d'Épicure portant toujours avec eux sur leur anneau l'image de leur maître 12. C'est encore au métier du sculpteur et du ciseleur que se rapporte la fabrication des diptyques d'ivoire, que les consuls du Bas-Empire distribuaient à leurs amis lors de leur entrée en charge, et qui portent presque toujours le portrait du donateur, présidant aux jeux du cirque (fig. 1906-1913 et 2455-2460).
Si, laissant de côté les diverses productions du sculpteur, du graveur, du ciseleur, nous passons aux matières sur lesquelles étaient peints des portraits, nous retrouvons la même question soulevée à propos de la Grèce : les peintures étaient-elles exécutées sur bois ou sur le mur revêtu d'un enduit? et nous adopterons aussi la même solution intermédiaire, à savoir que les deux procédés ont été connus et employés. Si l'on n'avait pas peint sur panneaux de bois mobiles à l'époque républicaine, comment s'expliquerait-on que les peintures oit, à partir des guerres Puniques, les généraux vainqueurs prirent l'habitude de faire représenter leurs exploits, aient pu être promenées dans la pompe du triomphe 13? Le mot tabula, dont se servent constamment les historiens, doit être pris avec son sens primitif de tablette de bois. Dans ces peintures de batailles, de sièges, de faits militaires, il y avait déjà, mêlés à la foule anonyme, des portraits de vainqueurs (Sylla]') ou de vaincus (Tigrane et Mithridate 15). Mais voulait-on peindre des portraits isolés et non plus des ensembles, à plus forte raison devait-on recourir au bois comme matière. On ne voit pas laia de Cyzique, Dionysios et Sopolis, les grands portraitistes du temps d'Auguste 16, peignant autrement que dans leur atelier. Comme leurs oeuvres, au dire de
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Pline', remplissaient les pinacothèques, les portraits d'hommes illustres que réunissaient les riches lettrés dans leurs bibliothèques ou leurs galeries, étaient donc sur bois. Nous en avons d'ailleurs la preuve par les peintures de Pompéi elles-mêmes, où sont parfois représentées des scènes d'atelier, des artistes travaillant à leur tableau qui, en certain cas, est visiblement un portrait. Et l'on voit que ces tableaux sont exécutés sur de petits panneaux mobiles qu'on posait sur des chevalets, qu'on suspendait ensuite aux parois et qui, généralement, étaient protégés par deux petits volets se rabattant sur l'image 2 [TABULA]. Avec l'Empire la peinture sur mur, plus expéditive et plus économique, se développe, et il y a certainement aussi des portraits parmi les fresques qui nous sont parvenues des villes campaniennes d'Herculanum et de Pompéi Néanmoins, même alors, le portrait, à cause des conditions du genre, demeure le plus souvent exécuté sur bois. Les lamentations de Pline' et de Pétrone' sur la décadence de la peinture, commencée, disent-ils, le jour où, renonçant à l'ancienne technique, on se mit à peindre à fresque, ne sont vraies que des grandes compositions. Mais quand les naufragés faisaient peindre leur malheur pour apitoyer les passants6 ou que les accusateurs en justice mettaient sous les yeux des juges les délits ou les crimes mêmes dont ils poursuivaient les auteurs7, quand Galba, pour entraîner ses troupes à la défection, dressait devant son tribunal les portraits des victimes de Néron 8, ils devaient nécessairement recourir à des tableaux sur bois. Autrement de tels usages et de tels faits seraient incompréhensibles.
Ces peintures, il est vrai, pouvaient être aussi sur toile. « imaginera rei depictam in tabula sipariove », dit Quintilien9 à propos des peintures exposées dans les salles d'audience. Rome en effet connut les peintures et par conséquent les portraits sur toile (in linteo). Déjà, dès l'époque republicaine, les stemmata qui se déployaient entre les portraits de famille placés dans l'atrium et portaient eux-mêmes des peintures de généalogies, paraissent avoir été des bandes de toile peinte70. Mais l'usage de la toile devint plus familier aux Romains avec l'Empire. On sait que Néron se fit peindre sur une toile colossale de cent vingt pieds de haut". Ce trait prouve, selon la remarque de Baoul-Rochette'2, une habitude déjà grande de ce genre de peinture : « l'art n'arrive pas du premier coup à un pareil excès ».
La peinture sur étoffe (pictura in textili) fut encore plus goétée et pratiquée des Romains. Sous l'Empire, monuments publics, palais ou villas des particuliers, ne savaient se passer, pour leur décoration intérieure, de la magnificence des tentures, des voiles, des tissus de toute sorte ornés de dessins. Il faut distinguer la tapisserie ou travail à la navette de la broderie ou travail à, l'aiguille. Les tapisseries ont été plutôt de grandes compositions décoratives, prenant d'ordinaire leurs sujets dans l'ornementation pure ou dans la mythologie.
Les auteurs nous en ont laissé des descriptions d'après les modèles qu'ils avaient évidemment sous les yeux. Qu'y voyons-nous? Les aventures de Thésée et d'Arianei3, la dispute de Pallas et de Poseidon; des métamorphoses, des amours de dieux et de mortelles"; à la fin du paganisme encore, l'enlèvement de Proserpine '5. La broderie, par sa recherche du fini et le soin qu'elle apporte au détail, se prêtait beaucoup mieux à la représentation exacte de la figure humaine. L'exemple donné par l'époque hellénistique ne pouvait être perdu pour les Romains. Caligula aimait à, se montrer en public vêtu d'étoffes ornées de peintures 16, et ces peintures sans doute le représentaient lui-même avec les attributs de Jupiter, de Mercure ou de Neptune. La mode vint de tisser dans l'étoffe des vêtements, d'y broder ou d'y appliquer des parties rapportées de broderie ou de tapisserie de diverses formes [SEGMENTUM] ; elle fut surtout florissante au Bas-Empire; on y mit aussi des portraitst7, qui étaient à cette place une marque d'affection, de dévotion ou de vassalité 16, et notamment celui des empereurs. Ausone reçut de Gratien, dont il avait été le précepteur, une tunique ornée de l'image de Constance". Un portrait semblable, exécuté en tapis
serie (fig. 3972), a été trouvé dans une tombe d'Achmim (Panopolis) en Égypte 20. Il a déjà été question des portraits impériaux placés en médaillon sur le bouclier du personnage que représente le diptyque de Monza; il faut ajouter que la tunique est entièrement couverte de deux portraits répétés à l'infini''.
Les matières que nous venons d'énumérer n'étaient
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pas les seules employées. Le genre du portrait était cultivé sous ses formes les plus diverses. Il faut tenir compte aussi des verres gravés (fig. 1853) et des verres peints fig. 1876) sur lesquels, G. côté d'une décoration soit d'ornements soit de figures mythologiques, on trouve des portraits d'hommes, de femmes, d'enfants'. Ils ont la forme de médaillons et semblent être l'imitation des disques ou boucliers de bronze et d'argent.
Ajoutez, pour avoir une idée de la variété des matières, les portraits en mosaïque, dont le Virgile entre deux Muses, découvert à Sousse en 1896, est l'exemple le plus
récent et le plus beau (fig. 3973)2. Ajoutez les portraits sur parchemin (in rnembranis) ou miniatures, dont on décorait d'ordinaire le premier feuillet des manuscrits célèbres. Varron avait inséré dans ses ouvrages les portraits de sept cents personnages, illustres à un titre quelconque 3. C'est de lui et de ce recueil iconographique ainsi constitué que doit dater l'habitude de mettre les auteurs au frontispice de leurs livres. On allait puiser les portraits dans l'Iconographie de Varron. Martial cite une édition de Virgile ainsi ornée : Ipsius et vultus prima taGella gerit'. Le manuscrit du Vatican, que nous possédons, est précédé de même d'une image du poète 6. Peu importe que cette miniature, crue longtemps du ro siècle, ne soit en réalité que du vie. Elle reproduit un usage antérieurement existant. Les amateurs des siècles suivants, en même temps qu'ils faisaient transcrire les manuscrits, faisaient copier les miniatures. Galien dit que les peintres contractaient des ophtalmies à peindre sur du parchemin blanc 6 ; peut-être ces peintres étaient-ils justement ceux que l'on chargeait de mettre les vignettes en tète des ouvrages'.
Les différentes sortes de portraits. Non seulement, à home comme en Grèce, les portraits sont exécutés en
différentes matières, mais dans une même matière un portrait comporte des dimensions, des poses différentes. Tantôt il n'est qu'un simple masque (le portrait que l'on place sur le visage du mort étendu sur son lit de parade, celui que porte dans les funérailles, derrière le char, un acteur spécial', les images des ancêtres'). Tantôt c'est une statue debout (l'Auguste du Vatican)10, assise (la prétendue Agrippine du Capitole)", équestre (le Marc-Aurèle de la place du Capitole, le Balbus d'Herculanum). Dans ce groupe des statues il faut établir des divisions. Elles sont dites iconiques, quand elles montrent le personnage avec le costume de la vie réelle et les attributs de sa fonction, qu'elles soient d'ailleurs togatae, civili habits( (les citoyens portant la toge et offrant un sacrificei2, les femmes vêtues en matrones)13 ou lhoracatae ', rnilitari habita (les empereurs avec la cuirasse, dans l'attitude du général qui ha
rangue ses troupes) t6 Elles sont (lites achilléennes16 quand elles manquent de cette vérité du costume et ont une attitude idéale; elles sont alors nues ou deminues, à la tacon des héros et des athlètes 17, ou représentées avec les attributs d'une divinité, Jupiter, Junon,Cérès, Vesta'$. Elles peuvent même participer des deux ten dances, comme l'Auguste trouvé à Prima-Porta,qui est revêtu de la cuirasse, mais qui a les pieds nus (fig. 3974)19. Le portrait est aussi traité sous la forme du buste, intermédiaire entre le masque et
la statue. Le buste est une création hellénistique; niais Rome s'en est emparée et l'a vraiment rendu sien. Les bustes abondent dans les galeries et les musées. Ici encore il faut distinguer plusieurs types suivant les époques29 : le type de la dynastie julio-claudienne avec l'indication de la poitrine seule sans les épaules, le type flavien avec les épaules, le type de l'époque trajane avec la naissance des bras, le type du temps d'Hadrien avec le bas de la poitrine et le haut des bras, le type du In° siècle oit le personnage est sculpté jusqu'à mi-corps, quelquefois les bras tout entiers. Il y a donc là toute une évolution qui peut servir G. dater les portraits et qui va de l'hermès, c'est-à-dire de la tête simplement indiquée avec le cou, jusqu'à la demi-figure. L'hermès lui-même n'est pas abandonné à l'époque romaine, bien que le
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buste y soit devenu la forme courante. Les sculpteurs l'emploient encore, lorsqu'ils copient les oeuvres helléniques (fig. 1847) ; en fidèles imitateurs, ils respectent la forme même dans laquelle l'original a été exprimé.
Les portraits peints ou gravés pouvaient è tre des ligures en pied (tels, ces tableaux de triomphateurs debout sur leur char, dont les familles étaient si fières) ', ou des
bustes et des demi-figures (fig. 3975)2, comme les images peintes sur boucliers : du reste exécutés de face, de trois quarts ou de profil; les monnaies sont la seule matière où les têtes soient presque toujours de profil. Nous renvoyons, sur ce point, à ce que nous avons dit des portraits grecs.
Places qu'occupaient les portraits. Ces portraits peints, sculptés ou gravés, étaient placés dans les lieux les plus divers. De même que presque toutes les circonstances de la vie pouvaient être une fois ou l'autre des occasions de portraits, de même il était bien peu d'endroits publics ou privés d'où les portraits fussent toujours absents. De là pour nous une difficulté, celle de passer tous ces lieux en revue. Énumérons du moins les principaux.
D'abord les lieux publics, temples, théâtres, amphithéâtres, basiliques, thermes (fig. 1782), portiques, etc. Les temples n'étaient pas seulement enrichis de toutes les œuvres d'art qu'un pillage systématique de plus de deux siècles enleva aux monuments de la Grèce. Ils étaient décorés aussi de sujets se rapportant au présent et de portraits de personnages romains. On y plaçait, après les avoir fait défiler dans la cérémonie triomphale, les tableaux qui représentaient les victoires des généraux 3. Les portraits des triomphateurs eux-mêmes, vêtus de la toge de pourpre avec broderies d'or (logez picta) accompagnaient souvent la dédicace de ces peintures °. Sous la République, les gouverneurs de provinces recevaient de leurs administrés, désireux de plaire, de pareilles marques d'honneur. Verrès, craint plus que tous les autres, en reçut aussi plus que tous les autres6. Sous l'Empire, les princes surtout, mis ad rang
des dieux par la reconnaissance ou l'adulation publique et honorés d'un culte dans tout l'Empire ou au moins, comme Auguste, dans les provinces 6, avaient tout naturellernent leur place dans les lieux sacrés à côté des images divines (inter simulacra deorum) Tibère cependant interdit cet usage 3; mais Caligula, après l'avoir également défendu, le rétablit°. Domitien remplit le Capitole de ses statues et de ses bustes d'or et d'argent10
On voyait aussi, mêlées aux statues des dieux, celles de personnages qui, avec la décadence des temps, prirent une importance croissante dans l'Empire, les cochers et les pantomimes.
Plus encore que les temples avec leurs parvis, les places publiques avec leurs colonnades (fig. 3976)11
étaient peuplées de statues-portraits ou de bustes. Je dis statues ou bustes, car dans ces endroits découverts on ne pouvait guère exposer que des figures plastiques. Les statues honorifiques apparaissent sur le Forum ou au Capitole dès le ive siècle avant notre ère. On en élève aux anciens rois et aux héros de la légende républicaine, Romulus, Numa, Ancus Martius, Clélie, Horatius Coclès, etc. 12, aux magistrats qui ont bien mérité de l'État", aux étrangers comme Ilermodore d'Éphèse". Les familles aristocratiques, par vanité, en décernent à leurs membres, qu'ils soient illustres ou non. Les femmes elles-mêmes, d'abord dans les provinces, puis à Rome, ont aussi leurs statues sur le Forum, et l'image de Cornélie, la mère des Gracques, existait encore au temps de Pline". Bref, c'est une telle profusion de portraits que Caton disait : « On me demandera pourquoi je n'ai pas de statue. J'aime mieux cela que d'entendre demander pourquoi on m'en élèvef6. » Il fallut même prendre des mesures pour empêcher l'encombrement. En 179 av. J -C., les censeurs ordonnèrent que toutes
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les statues de fonctionnaires, érigées sans un décret du. sénat ou du peuple, devaient disparaître du Forums. La défense ne fut pas longtemps respectée. Bientôt d'autres statues s'élevèrent, et le Forum, au temps de César, était de nouveau encombré ; sous l'Empire, il va sans dire que, les empereurs multipliant ou laissant multiplier leurs images, les places publiques, non moins que lés temples, se remplirent de leurs bustes et de leurs statues. Il y en avait jusque sur la tribune aux Harangues (fig. 3260). Comme l'ancien Forum de la République était devenu trop étroit et ne répondait plus aux besoins du temps, il fallut créer' de nouveaux emplacements, et chacun des princes voulant dépasser en magnificence les constructions de son prédécesseur, c'est dans ces forums impériaux que prirent place de plus en plus toutes les oeuvres importantes. Jusqu'à Trajan, les statues des généraux honorés du triomphe furent dressées au forum d'Auguste 2 : c'est même pour les recevoir que cette construction avait été entreprise 3. Dans la suite, on les dressa au forum construit par Trajan luimême', lequel devint vraiment le centre de home et de toute la vie brillante 5. Ce n'était pas seulement l'empereur que l'on honorait de plusieurs statues dans les temples et sur les places. M. Basseus Rufus avait son image en trois endroits, au forum de Trajan, dans le temple d'Antonin le Pieux et dans celui de Mars Vengeur 6. Les provinces imitaient la capitale, et sur les places de tous les municipes s'élevaient des statues pour les particuliers qui avaient rendu service à la cité'. A Pompéi, petite ville provinciale, quatorze statues-portraits étaient rangées le long du seul côté ouest du forum : les bases se sont conservées$.
En dehors des forums, les autres places se garnissaient également de statues. A Rome, l'Area Capitolina n'était plus suffisante dès Auguste pour contenir toutes celles qu'on y mettait. Cicéron nous parle de « l'escadron » de statues équestres que Metellus Pius Scipio aval t érigées en cet endroit àses ancêtres 9. Auguste les fit enlever et transporter dans le vaste emplacement du Champ de Mars 10. Dans les théâtres, même genre de décoration. Pour plaire à Tibère, le sénat décrète d'élever au théâtre de Pompée une statue de bronze de Séjan11. Tous les édifices publics, en un mot, contenaient des portraits. Nous avons vu que dans les tribunaux on suspendait souvent des tableaux représentant l'accusé et son crime. Sous l'Empire on y mit aussi l'image de l'empereur 12, de même qu'il y a dans nos mairies le buste de la République.
C'est le sénat qui décrétait au nom de la ville l'érection des portraits dans les endroits publics. Cependant, à côté du sénat, chaque citoyen, à l'époque républicaine, était libre d'exposer publiquement en son nom son image : un tableau dans les temples ou les portiques, une statue de pierre ou de bronze sur les places. Cette Iiberté, on se le rappelle, n'existait pas au même degré en Grèce, où les lieux publics d'un caractère profane étaient entièrement réservés à l'État. Mais ni le sénat ni
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les particuliers ne pouvaient ériger une statue ou un buste 13 à un personnage vivant. De là les imagines de la famille qui ne sont que les images des morts. De là le renversement de la statue de Spurius Cassius, parce qu'il se l'était élevée à lui-mêmes'`. Appius Claudius, quand il veut dédier dans le temple de Bellone des portraits des membres de sa famille, ne fait représenter que ses aïeux". Il est vrai que, vers la fin de la République, au milieu du relâchement général, on n'observe plus cette règle. M. Marcellus dans le temple de l'Honneur et de la Vertu 16, Q. Fabius Maximus sur l'arc des Fabii 17, placent à côté de leurs ascendants leur propre statue. Lorsque l'Empire fut établi, Auguste maintint au sénat son droit d'érection. Prétendant n'avoir rien changé à l'ancienne constitution, il voulait que cette assemblée continuât à paraître quelque chose18. En réalité, instrument docile, elle avait bien soin de ne jamais agir sans consulter l'empereur. C'est l'empereur véritablement qui élevait les statues; mais les apparences étaient sauvegardées. Quant aux particuliers, la permission qu'ils avaient de dresser en public leur image était devenue un abus. Claude, en l'an 45, déclara qu'ils ne pourraient plus se passer de l'autorisation du sénat, et, pour obtenir cette autorisation, il fallait avoir élevé de ses propres deniers quelque édifice public : encore le portrait du donateur ou de ses parents n'était-il placé que dans l'enceinte même de sa construction 19. Dans les municipes, le conseil communal avait les mêmes pouvoirs que le sénat à Rome; c'est lui qui décrétait pour tel citoyen de la localité les honneurs d'une statue publique 20. Dans les provinces, enfin, les gouverneurs veillaient à ce que temples, places, portiques fussent abondamment pourvus des images de l'empereur.
Quand le lieu était privé, chacun avait naturellement le droit d'exposer tous les portraits qu'il lui semblait bon, même ceux de personnes (comme les meurtriers de César) exclues du nombre des imagines majorant pour avoir été privées de leurs droits de citoyens21, Les palais de Rome et les maisons de campagne, les parcs et les jardins des riches seigneurs étaient décorés de leurs statues, de celles de leur famille, de leurs amis, des grands hommes qu'ils admiraient, plus tard du prince qu'il fallait révérer. Dès Sylla cette mode s'introduisit". On citait comme une exception Auguste 23 qui, par affectation de simplicité, n'admettait dans ses demeures de la ville et des champs ni statues ni tableaux peints. Mais il se trouvait un plus grand nombre de personnes pour imiter le délateur Régulus. Celui-ci, dans ses jardins au delà du Tibre, avait bordé la rive d'une foule de ses propres statues". Son fils étant mort en bas âge, il fit reproduire ses traits de mille manières, par la peinture, le bronze, l'or, l'argent, l'ivoire, le marbre 23. Dans les villas que l'on a fouillées à Tivoli (la villa des Pisons, celle de Mécène, celle d'Hadrien), on a découvert aussi un nombre considérable de bustes.
Chaque maison aristocratique possédait dans son atrium des masques en cire, et quelquefois aussi des panneaux
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de bois, représentant les ancêtres de la famille. Au temps de l'Empire, les portraits d'empereurs furent généralement placés dans les demeures des particuliers. L'empereur Tacite exigeait que chaque sénateur eût chez lui un portrait du prince défunt Aurélien'. Du reste, où ne rencontrait-on point de ces portraits d'empereurs? Non seulement dans les maisons opulentes, mais dans les comptoirs des changeurs, les boutiques, les ateliers. dans toutes les échoppes, dans tous les vestibules, à toutes les fenêtres, leurs images s'étalaient 2. Bienfaisants, on leur devait de la reconnaissance; méchants, on les craignait : de toutes façons, les plus simples citoyens eux-mêmes étaient tenus à posséder l'effigie impériale.
Les tombes enfin, monuments privés et respectés s'il en fut, que chacun pouvait orner à sa guise sans que l'autorité s'en mêlât, étaient fréquemment décorées de l'image du défunt. On y érigeait souvent des figures en ronde bosse, de véritables statues funéraires, comme le prouvent maintes inscriptions 3. Les testaments contenaient d'ordinaire des prescriptions à cet égard, et des prescriptions parfois très minutieuses. Une Espagnole veut avoir une statue de 8000 sesterces (2175 fr.)''. Un Romain des environs de Langres recommande que l'étage supérieur de son mausolée soit bâti en forme d'exèdre et que cet exèdre reçoive deux statues de lui, l'une assise, du meilleur marbre d'outre-mer, l'autre pour le moins de cinq pieds de haut, faite avec l'airain qu'on employait pour les documents officiels (aes tabulare)'. Le Trimalcion de Pétrone' se bornait donc à suivre l'usage habituel quand il souhaitait sur sa tombe deux statues, pour lui et pour sa femme, et qu'il réglait par dispositions testamentaires tous les détails de l'érection, deux petits chiens tenus en laisse, des couronnes et des essences posées à terre. Ces monuments étaient dressés, comme on sait, le long des grandes routes qui donnaient accès dans les villes : on ne voulait pas que les morts fussent séparés des vivants. C'était une solennelle entrée que celle du voyageur arrivant à Rome par la voie Appienne ou la voie Flaminienne ; ces deux rangées de figures de marbre ou de bronze entre lesquelles il passait, éveillaient naturellement dans son esprit tout un monde de graves pensées. Le monument des llaterii, représenté sur un bas-relief, atteint les proportions d'un véritable temple funéraire dont le fronton, les côtés étaient garnis des bustes des défunts (fig. 397-i) 7. Mais ces édifices ne pouvaient convenir qu'à des tombes de familles aisées ou opulentes; ils coûtaient cher. Presque tout le monde cependant, jusque dans les classes inférieures, désirait perpétuer son souvenir avec son image. Les clients, les affranchis, les esclaves, avaient comme sépultures les CoLUMBARIA, chambres souterraines dont les parois étaient percées d'une multitude de niches superposées par étages; chacune de ces cavités contenait une urne cinéraire, parfois aussi un buste. Mais surtout, quand, à partir du ne siècle de notre ère, on cessa de briller les morts pour les enterrer, les petites gens purent avoir à bon compte, au lieu de la statue ou même du buste encore trop cher, un portrait sculpté en relief sur les parois d'un sarcophage. On sait combien sont nom
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breux dans tous les musées ces portraits populaires e. Généralement le personnage se détache soit en buste,
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soit en demi-figure sur le fond d'un médaillon, Iequel est soutenu par deux Amours, deux Tritons, deux Victoires. Tantôt dans le même médaillon, il y a place pour deux têtes, celle du mari et de la femme; tantôt les deux têtes occupent chacune un médaillon différent. S'il y a plus de deux figures, la face antérieure du sarcophage est alors creusée sur presque toute son étendue, de sorte que le bord de la cuve fait saillie sur la paroi du fond ; dans cet espace quadrangulaire ainsi encadré s'alignent, en relief plus ou moins accusé, les portraits de trois, quatre personnages de la même famille°; ils ont voulu être réunis dans la tombe comme ils l'avaient été dans la vie : gens obscurs, personnages anonymes, mais d'autant plus intéressants, car ils prouvent, mieux que ne le ferait aucun autre, combien était largement répandu cet emploi du portrait depuis le haut jusqu'au bas de la société. Le buste d'un cordonnier romain, dans une niche surmontée de son enseigne, est une vente d'art digne d'être comparée aux meilleurs portraits d'empereurs 10, de même que le boulanger et sa femme (fig. 3975) ont pour nous la valeur d'un excellent morceau de peinture.
Comment, dans les divers endroits publics ou privés, temples ou maisons, étaient disposés les portraits? Pour les statues placées dans les temples grecs, nous avons cru pouvoir répondre avec une certaine précision. Pour les temples romains, nous manquons de renseignements; mais il est vraisemblable qu'elles y étaient aussi dressées un peu au hasard et sans un ordre déterminé. Quant aux tableaux, suspendus à la muraille ou encastrés dans la paroi elle-même, ce que nous en dirions, nous l'avons déjà dit à propos de la Grèce. Rome ne faisait, cette fois encore, que reproduire un usage transmis par les peuples helléniques. Exceptons cependant les masques en cire des ancêtres qui, inconnus de la Grèce, pouvaient donc recevoir à Rome une disposition particulière. On les enfermait dans des armoires de bois
en forme de petits temples (al-maria", u),tva vatiaats)
(fig. 3979), et celles-ci ne s'ouvraient que les jours de fête pour le culte domestique, ou dans la solennité des funérailles lorsque mourait un des membres de la famille.
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Enfin les boucliers ou disques peints, toujours à l'imitation des Grecs, formaient, suspendus aux colonnes' ou à la façade 2, un élément important de la décoration des temples 3. Ils ornaient d'ailleurs d'autres édifices publics, comme les basiliques et même des maisons particulières4.
Dans les bibliothèques [BIBLIOTIIECA] on plaçait volon
tiers le portrait de chaque auteur au-dessus du recueil de ses oeuvres'. Celle d'Asinius Pollion, qui fut la première bibliothèque publique 6, contenait les images de tous les écrivains célèbres de la Grèce et de Rome'. Plus tard, Tibère 3, Caligula °, dédient dans les bibliothèques ou en bannissent les portraits, non moins que les écrits, de tel ou tel auteur. Scripla et imagines sont souvent associés 10. Les portraits étaient non seulement des bustes n, mais des images peintes. Divers textes en témoignent. Pline le Jeune72 commande à Severus, pour la bibliothèque d'un ami commun, les portraits de Cornelius Nepos et de Titus Cassius et le prie de faire copier ces deux oeuvres par un peintre habile. Martial se propose de même d'envoyer son portrait peint à Caecilius Secundus 13. Les bustes des poètes étaient couronnés de lierre''. Mais bustes ou portraits peints, les uns et les antres étaient un bonneurréservé dans les bibliothèques publiques aux seuls auteurs défunts. Il n'y a que Varron, d'après Pline' S, qui ait vu de son vivant placer son image dans la bibliothèque de Pollion. Les particuliers étaient libres, naturellement, d'accueillir chez eux les portraits des vivants. Ils aimaient à posséder l'image d'un écrivain favori : Stertinius Avitus tenait à avoir celle de Martial16. D'autres fois, pour plaire à un auteur, on lui accordait cette marque d'estime, bien qu'il ne la méritât pas toujours. C'est ainsi que Fannius, le mauvais poète, allait porter ses manuscrits et son image dans la bibliothèque de quelque ami trop complaisant l7. Les portraits peints qui ne figuraient point dans les bibliothèques prenaient place dans des galeries, complément ordinaire de l'habitation, et proprement appelées des pinacothèques. La célébrité de Jaia de Cyzique, de Dionysios et de Sopolis comme peintres de portraits 73, l'abondance de leurs productions qui, au temps d'Auguste, remplissaient les pinacothèques19, plus tard le grand nombre de passages où Martial nous parle de portraits de ses contemporains84, les railleries mêmes de Lucien sur la sottise des gens, et des femmes en particulier, qui demandaient aux peintres de les embellir71, tout cela atteste suffisamment la vogue du genre dans tout l'empire.
ll nous reste à dire où et comment étaient placés certains portraits représentés sur des objets facilement maniables et portatifs, comme les monnaies, les médaillons, les pierres gravées. Les monnaies ou les médailles pouvaient servir de décoration à des tablettes de bronze consacrées en ex-voto, à des pièces d'orfèvrerie, à des bijoux, à divers autres ustensiles plus communs". Dans le bronze de l'ex-voto étaient creusés, soit d'outre en outre, soit jusqu'à mi-épaisseur du métal, un ou plusieurs trous circulaires; ceux-ci, disposés régulièrement comme
un casier à médailles, avaient un diamètre de la grandeur exacte de la monnaie qu'on voulait enchâsser; on logeait dans les cases les portraits monétaires de la famille régnante; on avait ménagé autant de cases qu'il y avait de membres de cette famille. C'était une manière d'honorer la doinus divina. Les pièces d'orfèvrerie étaient parfois aussi des sortes d'écrins à médailles. La fameuse patère d'or de Rennes (fig. 972) porte sertis dans le métal, sur son pourtour, une couronne de seize deniers d'or oit autri, qui représentent la famille de Septime-Sévère et quelques-uns des Antonins 23. D'autres patères n'ont qu'un médaillon d'or encastré dans la partie centrale, comme les emblemala dont nous avons parlé à propos des trésors d'argenterie. I'arlni les bijoux, les bracelets ou les colliers (fig. 3540) étaient souvent incrustés de monnaies impériales; les bagues avaient des chatons monétaires (fig. 350). Toutes ces médailles étaient des accessoires décoratifs.
L'image de l'empereur n'était pas seulement exposée dans les camps sous forme de statue 2L ; elle était encore suspendue à la hampe des enseignes [SIGNA 7IILITARIAI.
Les soldats adoraient ces portraits des enseignes non moins que les images des divinités elles-mêmes25. Artaban, roi des Parthes, désireux d'obtenir l'amitié du peuple romain, commença, avant de traiter de la paix, par adorer les aigles romaines et les images des Césars2G. Aussi, dans les temps de persécutions, ce fut là une cause de mort pour beaucoup de chrétiens, qui refusaient de rendre aucun culte aux enseignes des légions27. A tous les changements de règne, les soldats inscrivaient sur leurs drapeaux le nom du nouvel empereur 93 et au-dessous du nom ils plaçaient son portrait brodé à. l'aiguille sur la toile elle-même 2°. Inversement, toutes les fois qu'ils se détachaient de lui, ils lacéraient ses images,
jetaient à terre et brisaient les médaillons à son effigie, renversaient tous ses portraits 30; c'était le signe de la défection. Lés représentations des arcs de triomphe, celles de la colonne Trajane 31, nous donnent une idée exacte de ces effigies impériales attachées aux enseignes. I1 est rare de ne voir qu'un seul médaillon par enseigne; on en superposait deux, trois, quatre au faîte de la hampe, immédiatement au-dessous de l'aigle (fig. 3978) 32, en les reliant les uns aux autres par un tenon métallique dont quelques exemplaires de nos musées ont conservé les traces. Ils formaient, selon le mot de Tertullien", un imaginum suggeslus, et on les appliquait directement ou on les suspendait par une
chaînette le.long de l'enseigne. Ceux qui les portaient s'appelaient imaginarii ou imagini feria'.
Les médaillons d'or impériaux avaient une autre destination; c'étaient des cadeaux faits par le prince aux personnages importants de l'Empire et aux rois barbares. Ils avaient un grand prix et n'étaient plus des accessoires
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de bijoux; c'étaient de vrais bijoux par eux-mêmes. Ceux qui les recevaient les portaient à leur cou comme une décoration. Aussi les exemplaires que nous avons sontils souvent munis d'une bélière ; elle ne manque jamais sur ceux qui sont postérieurs à Constantin'.
Les camées ne faisaient pas seulement l'ornement des collections d'amateurs ou dactyliothèques, comme celles qu'à l'imitation de Mithridate et des princes hellénistiques Jules César et Marcellus avaient réunies On les incrustait encore dans les vases, comme les monnaies dans les pièces d'orfèvrerie; on les employait dans l'ajustement et la parure (fig. 3540). Une tête d'Octave trouvée à Tirlemont avait servi d'agrafe de manteau3. Le fastueux Héliogabale décorait ses chaussures des gemmes les plus coûteuses`. Lollia Paulina mettait des pierres fines sur ses vêtements, dans ses cheveux, à son cou, sur toute sa personne'.
On voit donc que dans les lieux publics et les lieux privés de toute sorte et de tout caractère, profanes ou sacrés, temples, portiques, basiliques, théâtres, thermes, camps, maisons, lieux de sépulture, bibliothèques, pinacothèques et galeries, que sur les objets mobiliers de toute nature, pièces d'orfèvrerie, bijoux, que sur le costume et la personne entière du citoyen, partout en un mot, les portraits pouvaient trouver place.
G° Les personnages représentés. Les différentes sortes de personnes dont les arts plastiques et la peinture exécutaient l'image, se trouvent déjà, chemin faisant, avoir été indiquées. Revenons-y en terminant pour présenter un tableau d'ensemble, surtout pour insister sur deux catégories très importantes, les portraits des ancêtres et ceux des empereurs, dont nous n'avons parlé que d'une façon fragmentaire et insuffisante.
Imagines majorum. Jus imaginum. Dans les habitudes de la vie romaine relatives aux portraits, les images des aïeux occupent une place à part et de premier rang. Aucun usage n'est plus ancien. Si haut que nous remontions, nous le trouvons pratiqué. Il coïncide avec les premiers essais de plastique, les premières tentatives d'art du peuple romain. Que l'on ait eu l'idée de conserver les traits du mort grâce à un masque pris sur le cadavre, il n'y a là, rien de surprenant ni de nouveau. Tous les peuples, au moins à l'origine, ont passé par cette coutume 6. C'était une croyance générale chez les anciens que le mort se survivait dans la tombe et qu'on pouvait lui conserver sa personnalité en le reconstituant dans une de ses parties essentielles comme la tête. De là les momies égyptiennes; de là les masques assyriens, phéniciens, mycéniens, étrusques; de là l'empreinte de cire que l'on prenait, chez les Romains, sur le visage des morts (fig. 1291). Ajoutez cette autre raison : l'exposition du défunt durant sept jours 7 dans les grandes funérailles [PUNIS], le corps ne pouvait rester tel qu'il était ; il fallait l'embaumer. Le masque était alors appliqué soit sur la face même du cadavre, soit sur un mannequin de parade qu'on lui substituait'. Mais voici ce qui appar
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tient en propre aux Romains. Ce. portrait de cire (effigies), après avoir servi à l'exposition, était porté au forum, le plus souvent sur le mannequin, auquel on donnait l'attitude et le costume d'un vivant'. Cela ne suffisait pas. Derrière le cadavre enfermé dans un cercueil 10, à la suite du cortège des parents, des amis et des assistants, un acteur, sorte de bouffon, avait aussi sur le visage un masque représentant le défunt, dont il parodiait les paroles et les gestes 11. Le corps une fois inhumé ou brûlé avec le masque qui l'avait accompagné, on tirait du moule primitif une nouvelle épreuve, et celle-là on la gardait soigneusement. La famille, pour plus de ressemblance, la faisait colorier 12, monter sans doute sur un buste comprenant la tête, le cou et le bord supérieur du vêtement 13, et l'exposait soit dans l'atrium proprement dit 1+, soit plutôt dans les ailes de l'atrium '5, qui offraient de plus larges surfaces de murailles. Chaque fois que mourait un membre de la gens, un nouveau masque venait se ranger à côté des précédents le long des parois des ailes et grossir le nombre des images des ancêtres : la gloire d'une famille était d'en posséder le plus grand nombre possible. Le moule était toujours conservé; car il était besoin de temps à autre d'en tirer de nouveaux exemplaires. Une femme en se mariant apportait à sa nouvelle famille les portraits de ses aïeux". Puis les masques eux-mêmes s'altéraient pour être souvent portés dans les funérailles. Ils se noircissaient enfin par l'effet du temps ou de la fumée du foyer; ils devenaient ces fumosae imagines" dont parlent les auteurs pour indiquer de très anciennes images et par suite une très vieille noblesse. Tous ces faits prouvent deux choses : d'abord que les Romains connurent le moulage antérieurement au Sicyonien Lysistrate18; celui-ci dut perfectionner le procédé, mais non l'inventer (il va de soi que les Romains, avec leur peu de sens artistique, se
contentaient très aisément d'épreuves très grossières) ; ensuite que les masques, placés sur les bustes dans l'atrium, étaient mobiles et pouvaient s'enlever 19, pour qu'il fût aisé de les remplacer ou de les donner à porter à des acteurs comme des masques de théâtre. C'est, en effet, l'aspect d'une sorte de masque théâtral que présente dans un bas-relief de Rome l'imago placée derrière une femme mourante et figurant sans doute, par
une sorte d'anticipation, les images qui seront portées dans le convoi (fig. 3979)20
On tâchait de préserver un peu les masques en les enfermant d'ordinaire dans ces ;uatvx. vàiôtx 21, ces armoires de bois en forme de petits temples dont il a été question plus haut. Deux bustes du musée du Latran nous donnent une idée très nette de ce que sont ces armoires 22. Les deux personnages, deux membres de la famille des Ilaterii, sont encore engagés dans des niches
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qui ressemblent en effet à des temples avec colonnettes. Sous les vx ôt«, on mettait des inscriptions (tituli) où étaient énumérés dans une forme concise les noms, les dignités, les principaux faits d'armes de chaque personnage [rr_oGIUM]. Atticus s'exerçait à rédiger de ces titres en quatre ou cinq vers au plus, et l'on admirait qu'il prit enfermer tant de choses en si peu de mots Mais tout le monde n'apportait pas à composer ces inscriptions la même exactitude qu'Atticus; plus d'une fois la vanité des grandes familles falsifia les tituli, en exagérant les exploits des ancêtres ou même en les inventant de toutes pièces 3 ; chacune voulait avoir des honoraiissimae imagines c'est-à-dire des portraits accompagnés d'un titube qui mentionnât beaucoup d'honores. D'un titre et d'un portrait à un autre couraient des bandelettes de toile (stemmala) 5, sur lesquelles était peint comme une sorte d'arbre généalogique de la famille : peintures de stemmata et peintures de généalogie étaient synonymes'.
Les familles étaient fières surtout des ancêtres qui avaient obtenu le triomphe. A ceux-1à, outre les masques de cire, on dressait quelquefois une statue dans le vestibule8; plus souvent ils avaient leur portrait sur panneaux de bois (in cera vultus et in fabula) 9, portrait en pied 10 qui les représentait en costume de triomphateurs, revêtus de la toge de pourpre avec broderies d'or et debout sur leur char" : dans le temple de Vertumne et Cousus, M. Fulvius Flaccus et L. Papirius Cursor étaient figurés avec cette attitude''. D'ordinaire ces portraits de triomphateurs restaient la propriété de la famille ; on les plaçait dans l'atrium et en évidence (in prima parte aedium) pour rappeler sans cesse à la mémoire les grandes vertus des aïeux 13. C'est ainsi que T. Manlius Torquatus fut affermi dans sa sévérité contre son fils par la vue du portrait de son ancêtre, le premier Torquatus". Néanmoins, et quel qu'ait été le nombre de ces peintures sur panneaux, ce sont les masques de cire enfermés dans les ;uatvx vxiôtx, qui constituaient vraiment les imagines majorum. On n'ouvrait les armoires que dans les occasions solennelles 15. On couronnait les bustes de laurier 10, les jours de fête, et on leur rendait un culte domestique. A partir de César, on prit l'habitude de porter sur des chars de triomphe et des litières, à côté des statues des dieux, l'image des empereurs et des impératrices, dans la grande procession qui se rendait du Capitole au Cirque Maxime pour l'ouverture des jeux [cincUS].
Mais c'est dans la cérémonie des funérailles [FUVus] que les imagines jouaient le rôle le plus considérable. Lorsque mourait un membre de la famille, les armoires se rouvraient 17. Des hommes à gages, des acteurs (mimi), en tiraient les masques de cire, se les appliquaient sur le visage; puis, revêtus du costume de consul, de préteur ou de censeur, suivant la dignité du personnage qu'ils étaient censés représenter f', ils prenaient place chacun sur un char élevé et, sous la conduite de leurs licteurs 19, ils précédaient le corps du défunt 20. De même que Filius
tration de 1a, famille se mesurait par le nombre des masques rangés dans l'atrium, de même la grandeur de la cérémonie s'appréciait au nombre des ancêtres présents. Aussi cherchait-on à en faire figurer le plus possible. Aux ancêtres directs on joignait ceux des familles alliées21 ; on remontait jusqu'aux héros de l'histoire traditionnelle, Romulus, les rois d'Albe, Énée, d'où la famille prétendait tirer son origine22. Les chars de la sorte se comptaient quelquefois par centaines, même par milliers. On en vit, selon Servius 23, six centraux funérailles de Marcellus, six mille à celles de Sylla. Le cortège arrivé au Forum, devant les Rostres, les porteurs de masques mettaient pied à terre, et s'asseyaient tous, selon leur rang, sur des sièges d'ivoire pour écouter l'oraison funèbre, la laudatio 2'°. Le mort s'en allait ainsi au tombeau, escorté vraiment par tous ses aïeux50. Spectacle, nous dit Polybe 26, plein de solennité et de grandeur : on comprend sans peine la forte impression que les assistants devaient en ressentir.
Toutes les familles romaines faisaient-elles porter dans la cérémonie des obsèques les masques de leurs aïeux? Avaient-elles toutes le droit de le faire? Nullement, et pour la raison bien simple que la majorité des familles, aux yeux de la loi, n'avaient pas d'ancêtres (nullis majoribus orlae) 27. On ne considérait comme ancêtres que ceux qui avaient exercé l'une des magistratures curules, été dictateurs, consuls, censeurs, préteurs, maîtres de la cavalerie ou édiles curules 2B. Ceux-là seuls avaient leur image, et, par suite, leurs familles seules avaient le jus imaginum, le droit de conserver les images dans l'atrium et de les porter en public les jours de funérailles. Encore fallait-il, pour figurer au nombre des ancêtres, que ces magistrats fussent restés jusqu'à la fin de leur vie en pleine possession de leurs droits de citoyens. Aucun des parents de Brutus et de Cassius, les meurtriers de César, ne voulut recevoir leurs images dans sa maison'-9. Au début, ce furent uniquement les patriciens qui possédèrent le jus imaginum 30, parce que c'étaient eux uniquement qui pouvaient exercer les magistratures curules. Mais quand les lois Liciniennes (367) eurent amené la fusion du patricial et de la plèbe, donnant à celle-ci l'accès aux charges et aux honneurs, il en fut tout autrement. Dès lors les maisons plébéiennes, organisées sur le type des gentes patriciennes, purent avoir, elles aussi, leurs images, leurs ancêtres, leur jus imaginum. Il fallait cependant distinguer les familles qui, arrivées aux magistratures, étaient investies du droit d'images de celles qui ne l'étaient point. C'est alors que se créa une aristocratie de notables ou « nobles » (nobiles), composée des magistrats curules et de leurs descendants. Au-dessous des nobiles, on appelait hommes novi les citoyens qui n'avaient que leurs propres images sans en avoir de leurs ancêtres. Enfin, les ignobiles étaient ceux qui ne possédaient aucune image, ni de leurs ancêtres ni d'euxmêmes. La noblesse n'était point une caste fermée,
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puisque à chaque instant le suffrage du peuple, en portant un plébéien à une magistrature curule, le faisait entrer dans cette aristocratie en qualité d' «homme nouveau. » Le plébéien devenait noble et transmettait héréditairement sa noblesse à ses descendants. De là l'importance du jus imaginum: il anoblissait.
Cet usage des masques de cire, que nous avons trouvé établi dès les premiers temps de Rome, dura jusqu'à la fin de l'Empire. Pline prétend toutefois' qu'il avait cessé à son époque et qu'il était remplacé par les clipeatae imagines ou médaillons de bronze et d'argent suspendus dans l'atrium des maisons. Mais, selon Raoul-Rochette 2, l'expression imaginum pictura, dont se sert l'auteur latin, doit s'entendre des portraits d'ancêtres peints sur panneaux de bois, qui décoraient aussi les atria, et non des images en cire. En effet, il est encore question de celles-ci en l'an `376 de notre ère et nous voyons (ce qui prouve en quel honneur on continue de les tenir) les empereurs et les grands personnages chercher toujours à se rattacher à quelque nom de l'histoire primitive ou de l'histoire républicaine'.
Les empereurs. lin privilège des empereurs était qu'on pût, de leur vivant même, placer leur image dans tous les lieux qui s'y prêtaient. On n'y manquait point. Ces images étaient surtout des statues, genre de portraits de dimensions plus imposantes, de matière plus luxueuse et plus durable qu'une peinture sur toile ou sur bois. Auguste nous apprend dans l'inscription d'Ancyre que quatre-vingts statues d'argent lui avaient été dressées à Home, le représentant en pied, sur un quadrige ou à cheval s. Les statues d'or devaient être en nombre à peu près équivalent. Ajoutez celles de bronze, de marbre ou de quelque autre matière. Ajoutez celles qui, en dehors de Rome, se trouvaient dans toutes les villes de l'Empire, et non seulement sur les places et dans les monuments publics, mais dans les maisons et les villas des citoyens riches ou simplement aisés. C'est par centaines à Rome, par milliers et par myriades dans les provinces, qu'il faudrait donc les compter, afin de ne pas rester au-dessous de la vérité. Pour les empereurs suivants, la servilité publique compensait la brièveté ordinaire du règne par la hâte avec laquelle elle prodiguait les témoignages d'adulation. lin Domitien pouvait non seulement remplir le Capitole et Rome de ses statues et de ses bustes d'or ou d'argents, mais, suivant l'expression_ de Dion Cassius', couvrir tout l'empire de ses monuments. Hadrien se fit élever encore plus de statues. Athènes lui avait voué une vénération particulière, et l'on sait qu'elle se connaissait en flatteries : elle avait élevé autrefois plus de trois cents statues au seul Démétrios de Phalère' ; elle ne dut pas faire moins pour Hadrien qui l'avait comblée de plus de bienfaits.
Dès qu'un empereur était nommé, on envoyait dans les provinces son image couronnée de lauriers, et le peuple venait la recevoir solennellement, en procession, avec de l'encens'. Les gouverneurs se chargeaient aussi de la faire placer dans tous les édifices et lieux publics. Les corporations enfin et les particuliers rivalisaient
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d'empressement pour l'avoir. Elle était l'objet d'un 'véritable culte. En son honneur on apportait des offrandes, on célébrait des sacrifices 10. Ne pas l'adorer, fût-ce par inadvertance, frapper un esclave ou changer même de vêtements en sa présence'(, était une offense à l'empereur, un crime de lèse-majesté. Bien des fois les chrétiens provoquèrent ou redoublèrent contre eux-mêmes les persécutions en refusant de se soumettre à ce culte. Les images étaient introduites dans le prétoire pour y recevoir les adorations''. A une date qu'il n'est pas possible de préciser, elles y furent installées en permanence, soit. comme on le voit dans les figures qui accompagnent la Notifia dignitatum, dressées sur une table drapée, soit placées au sommet d'un de ces supports à trois pieds figurés aussi dans la Notitia parmi les insignes des plus
hautes magistratures 13 (fig. 3980). Cet usage apparaît très nettement sur le diptyque de Probianus et se trouve ainsi attesté pour le iv° siècle
jnIPTYcuus, fig. 2459]. Dans une miniature du vie, où est représenté le prétoire, les bustes des deux souverains régnants sont brodés sur la draperie qui enveloppe l'estrade du magistrat, et ces bustes sont répétés sur des tableaux portés derrière fui, au bout de longues hampes, par des appariteurs 19 (fig. 3951). On plaçait les images des empereurs sur les sceptres des consuls (fig. 1910), et , comme on l'a vu plus haut, sur une foule d'objets mobiliers. Mais survenait-il un change
ment de règne: avec la même ardeur qu'on avait apportée à ériger les statues en tous lieux, on s'acharnait à les démolir. On se vengeait de la contrainte d'une longue adoration par l'outrage et la destruction. Domitien fut peut-être le plus maltraité après sa mort 19, mais non le seul sur lequel se déchaîna la fureur populaire. Dès le règne de Tibère, avec Séjan, devenu l'égal de l'empereur,
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on s'était essayé à ces vengeances'. A partir du Ille siècle, les révoltes des soldats, les révolutions de palais, qui éclataient constamment, amenaient régulièrement aussi avec elles le retour de pareilles violences. Les peintures n'étaient pas plus épargnées que les statues Le renversement de tous ces monuments était la conséquence et le signe extérieur de la chute du souverain. 11 arriva même un moment où, les empereurs ne faisant que passer sur le trône, il devint impossible de produire assez de. statues nouvelles pour suffire à toutes les exigences. On eut recours alors à un moyen très simple : on se contenta de transformer les anciennes images'; on supprimait la tête du tyran et on y substituait celle du nouveau prince.
A côté des empereurs, on n'avait garde d'oublier les impératrices et les futurs héritiers du trône. Tibère, avant son élévation au principat, avait déjà des statues dans les grandes villes de l'empire, puisque, lors de son exil à Rhodes, les habitants de Nîmes, qui le croyaient perdu sans retour, détruisirent toutes ses images ". Les favoris, bien entendu, avaient leur part des hommages publics, quelquefois une part presque égale à celle du souverain lui-même. Séjan et l'ibère étaient honorés ensemble', avaient des statues côte à côte dans les théâtres, sur les places, jusque dans les quartiers des légions Personne, selon Dion Cassius', n'aurait pu dire le nombre des portraits de ce ministre. On sait combien nous possédons encore dans les musées de représentations d'Antinoüs; cela seul permet de se figurer toutes celles qui se sont perdues. Plautien, enfin, le favori de Septime-Sévère, s'était vu ériger plus de statues que l'empereur'. Parmi les fonctionnaires, les gouverneurs étaient au premier rang de ceux dont la province multipliait les images. Toute la Sicile, Syracuse en particulier, était remplie des portraits de Verrès9; Rome même possédait de lui des statues équestres dorées". Sous l'Empire, les gouverneurs furent bien autrement tenus en bride que sous la République; ils gardèrent toutefois encore assez d'importance pour être craints et par suite honorés de statues
Les fonctionnaires subalternes ou même de simples citoyens sans caractère officiel, pour peu qu'ils eussent rendu des services, obtenaient le même hommage ". 11 était rare, tant le patriotisme local était développé, que dans un municipe une famille riche ne cherchât pas à être en même temps une famille bienfaisante ". Constructions ou embellissements, donations, fêtes et distributions d'argent, spectacles, il y avait mille occasions de manifester sa générosité, d'être utile ou agréante au peuple. Des services, moins éclatants sans doute, niais en
core très méritoires,étaient aussi récompensés.Orbilius,le précepteur d'Horace, M. Verrius Flaccus, autre grammairien, avaient leur statue, l'un à Bénévent, l'autre à Préneste''". A plus forte raison les philosophes '5, les grands maîtres d'éloquence, les brillants sophistes, les .ilius Aristide f6, les Apulée 17, les Fronton ls, n'étaient-ils point oubliés. Faut-il ajouter que les statues servaient de récompenses militairesf9? Constance en fit ériger à des officiers qui, assiégés par les Perses dans la ville arménienne d'Amida, avaient exécuté une audacieuse sortie'-0.
Les portraits privés, comme il est naturel, nous sont moins connus que les portraits prlblics; mais ils devaient être aussi fort nombreux. Les corporations élevaient des statues à leurs protecteurs 21, les clients à leurs patrons 22 les passionnés du cirque, du théâtre et de l'amphithéâtre à leur musicien, pantomime, athlète ou cocher favori 2'. On connaît même des portraits de chevaux favoris, élevés pour les courses, avec leurs noms inscrits à côté d'eux (fig. 2750 et 27b1). Tous les érudits avaient dans leurs bibliothèques et leurs galeries les portraits des contemporains dont ils aimaient les ouvrages ou ceux des grands hommes du passé. On élevait des monuments à ses amis 21. On en élevait à soi-même. On en élevait surtout à ses morts, et nous avons vu à quel point avait pénétré jusque dans les basses classes, chez les plus petites gens, ce désir de perpétuer ses traits. C'est une des caractéristiques des temps anciens par rapport aux temps modernes que cette diffusion de l'art à tous les degrés de la société. On reste surpris de voir que dans les maisons de Pompéi, même les plus modestes, les murailles étaient ornées de fresques, le sol recouvert de mosaïques, le péristyle rempli de statuettes de marbre ou de bronze. Ce n'était pas, sans doute, de la grande peinture ni de la grande sculpture : on se contentait de peu. Mais combien,aujourd'hui,de familles bourgeoises croient-elles qu'un peu d'art est nécessaire à l'agrément de l'existence? Combien de personnes, parmi nous modernes, ont-elles leur portrait? Dans l'antiquité, presque tout le monde avait le sien ou cherchait à l'avoir, sinon une statue, au moins un buste, un relief, une peinture. En. CODIIBAL'D.