ACANTHUS, du grec elsuvea, épine, l'acanthe. Plante herbacée, vivace, espèce de chardon ; son feuillage élégant a fourni aux architectes anciens le motif des plus gracieux et des plus riches ornements.
Il existe une douzaine d'espèces d'acanthe, mais la plupart sont particulières aux pays chauds, où elles servent à former des haies et des clôtures ; deux espèces seulement nous sont anciennement connues et poussent naturellement dans les régions méridionales de l'Europe. L'une est l'acanthe sauvage (acanthus spinosus), épineuse et frisée, c'est la plus courte ; l'autre, sans épines, lisse et unie, a de larges feuilles flexibles, qui l'ont fait nommer acanthe molle (acanthus mollis); on l'appelle en Italie branca ursina, ou griffe d'ours 1. Ces plantes étaient employées chez les Romains pour la décoration des jardins, elles formaient ordinairement la bordure des parterres et des bassins 2.
L'acanthe sauvage est certainement celle que les Grecs ont imitée, quoi qu'en disent plusieurs auteurs Les Romains seuls, en développant considérablement l'usage de l'acanthe dans l'ornementation de leur architecture, ont employé aussi
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l'acanthe domestique. La légende si connue, racontée par Vitruve sur l'origine du chapiteau corinthien l'indiquerait déjà [CAPITULUM] ; l'abondance de l'acanthe sauvage en Grèce, comparée à l'excessive rareté de l'acanthe molle, le prouverait aussi; mais ce qui le démontre sans réplique, c'est l'examen des monuments grecs encore existants. Nous trouvons l'acanthe épineuse au monument choragique de Lysicrate, dans le chapiteau des colonnes et dans le magnifique fleuron triangulaire du couronnement, qui porta jadis le trépied décerné au chorège [ACaoTERIUM] 5 ; nous la trouvons dans les nombreuses stèles athéniennes, où elle forme ordinairement la base de l'ornementation sculptée ° [SEPULCRUM] ; nous la trouvons enfin dans les édifices où la pure tradition grecque s'est plus ou moins bien conservée, c'est-à-dire aux chapiteaux du temple d'Apollon Didyméen', à ceux de la tour des Vents à Athènes, de l'Incantade à Salonique, de l'Arc et du Portique d'Adrien
et du temple de Jupiter Olympien à Athènes ',etc. Nous donnons (fig. 26), comme exemple de la feuille d'acanthe telle que les Grecs l'ont comprise et interprétée, une feuille d'un chapiteau de ce dernier temple.
Chez les Romains, les monuments qui datent de la République nous offrent une interprétation curieuse de l'acanthe. La masse Jupiter olympien à Athènes. de la feuille est restée la même,
mais les détails sont changés ; les extrémités de chaque partie de la feuille se sont arrondies et frisées au lieu de rester aiguës et droites. Le chapiteau du temple de Vesta à Tivoli, dont une feuille est représentée fig. 27, les rosaces du plafond sous le portique du même temple, les chapiteaux du temple de la Fortune à Préneste, aujourd'hui Palestrine, et de la Basilique de Pompéi, un chapiteau isolé à Cori, sont de trèsbeaux types de l'acanthe ainsi traduite 10. On a voulu voir ici l'imitation des feuilles de la vigne, greffées en quelque sorte sur la masse conservée de l'acanthe ; on a ajouté comme preuve que, dans la plupart de ces chapiteaux, les caulicoles paraissent imitées des vrilles de la vigne 11. Nous y reconnaîtrions plutôt la feuille de la solansp appelée vulgairement bouillon blanc ou chou gras, et nous donnerions à ce mode d'expression de l'acanthe une origine étrusque. Nous retrouvons en effet cette feuille dans des monuments étrusques qui à coup sûr sont antérieurs aux monuments romains précédemment cités 12. On peut en voir parmi les terres cuites de la collection Campana, actuellement au Musée du Louvre, d'autres encore au Musée de la ville de Pérouse.
Après l'asservissement de la Grèce, quand ses artistes vinrent à Rome chercher l'emploi de leurs talents, nous y voyons apparaître la pure acanthe grecque, avec ses lobes à trois divisions aiguës, avec ses mils ronds comme ceux du chardon épineux, acanthe dont l'ensemble est à la fois décoratif et plein du sentiment de la nature et de la vie. Le temple en marbre de Vesta, à Rome, nous présente, dans son chapiteau, un très-beau spécimen de l'acanthe ainsi comprise 14; nous la retrouvons aussi à Cori, dans le magnifique chapiteau, en pierre stuquée, des colonnes du temple de Castor et Pollux 14. De la même époque date, sans doute, un temple dont les restes, peu connus, subsistent en France, au Vernègues (Bouches-du-Rhône). Ses chapiteaux, comme ceux du posticum du temple de Livie, à Vienne (Isère), sont ornés de feuilles d'acanthe qui ont tous les caractères ci-dessus décrits e
Bientôt cependant le sentiment de la nature est abandonné, et, même dans les premiers édifices de l'Empire, les chapiteaux présentent une feuille d'acanthe conventionnelle, qui n'a plus, de la feuille primitive, que l'aspect général. Les grandes divisions sont toujours observées, l'ensemble est décoratif et monumental, mais l'effet est froid, la vie est absente. On a remarqué ici, comme esprit de détail, l'introduction de la feuille de l'olivier et de celle du laurier. Chaque lobe de la feuille offre quatre ou cinq divisions, profondément refendues, dont chacune, creusée en coquille, peut, à la rigueur, représenter la ligne extérieure d'une feuille d'olivier ou de laurier; l'oeil est allongé, les côtes sont très-fortement accusées et celle du milieu est ornée de divisions ou d'une petite feuille étroite superposée. C'est la feuille que nous offrent le plus fréquemment les édifices romains. Nous la trouvons aux chapiteaux du temple de Mars Vengeur, du Panthéon, du portique d'Octavie, de l'arc de Titus, du temple d'Antonin et Faustine (fig. 2S), etc., et généralement dans les modillons des entablernents de ces mêmes édifices te Dans le chapiteau du temple de Jupiter Stator, et dans le chapiteau à têtes de bélier qui provient de l'intérieur du temple de la Concorde 17, cette feuille conventionnelle prend un autre caractère ; elle montre plus de vie par la forme flamboyante de ses divisions.
L'acanthe molle, plus fine, plus souple, plus gracieuse peut-être, fut surtout, comme nous l'avons dit, employée par les Romains. Ils la transfor
mèrent en y ajoutant des détails pris à d'autres plantes, telles que le persil, et en tirèrent ces magnifiques ornements qui couvrirent les moulures, les modillons, les consoles, les frises d'entablements, les corps de pilastres, etc., et dont les exemples sont si nombreux. Nous n'en citerons que quelques-uns parmi les meilleurs : les moulures du piédestal de la colonne Trajane 18, la cymaise du temple de Jupiter Sérapis à Pouzzoles 19, les consoles et les rinceaux
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du forum de Trajan 80, la frise du temple du Soleil, dont les fragments gisent dans le jardin Colonna Y1, et les rinceaux de la villa Médicis, qui ont dû décorer des corps de pilastres 2E. Semblables à ces derniers rinceaux étaient sans doute les acanthes d'or dont parle Diodore de Sicile, en décrivant le char funèbre d'Alexandre 83, et qui, surgissant du milieu de chaque colonne, s'élevaient insensiblement jusqu'aux chapi
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L'acanthe molle fut aussi employée dans la décoration des chapiteaux; nous la voyons au chapiteau composite de l'arc de Septime Sévère (fig. 29) 26. C'est par erreur que Perrault et Quatremère de Quincy l'indiquent à l'arc de Titus m: les chapiteaux et les modillons de cet arc portent l'acanthe de convention.
L'acanthe en général, diversement interprétée suivant les différentes époques, ne fut pas seulement appliquée à l'architecture proprement dite. Nous la trouvons encore soit dans les peintures de Pompéi et des Thermes de Titus, soit comme ornement de vases, de candélabres, de tables, et
de toutes sortes d'objets en marbre ou en bronze, que contiennent nos musées.
L'orféyrerie s'en servit aussi très-heureusement; nous en avons un bel exemple au Musée de Naples, dans un vase en argent, où se trouvent représentés Homère, l'Iliade et l'Odyssée, portés sur des rinceaux d'acanthe 27.
Dans leurs poésies, Théocrite, Ovide, Properce et Virgile, nous décrivent des vases et des coupes, en airain ou en bois, sur lesquels la flexible acanthe serpente et s'entrelace 28. L'acanthe fut aussi employée en broderie pour orner les vôte