Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ANNONA

ANNONA. Expression employée chez Les Romains en plusieurs sens différents : l'annone était 1', d'après l'étymologie (annus), le produit de la récolte annuelle ; 2° l'ensemble des moyens de subsistance ou approvisionnements, particulièrement en céréales ; c'est-à-dire toutes les denrées réunies dans les magasins des particuliers ou dans les greniers publics par mesure de prévoyance [cuRA les blés emmagasinés pour l'approvisionnement de la ville de Rome' ; 3° un impôt direct en nature, déjà perçu sous la république dans plusieurs provinces notamment sous forme de dîme [DECUMA], et employé principalement sous l'empire à des distributions ou à l'entretien de l'armée (anonariae functiones), indépendamment des denrées requises [FRUMENTUM EMTUM et frumentum emtum zmperatzznl] ; 4° le prix du blé sur le marché public '; 5° enfin la portion de blé ou de pain distribuée sous l'empire aux employés et aux militaires s , à titre de traitement en nature [ANNONA MILITARIS]. On ne s'Occupera dans cet article que du deuxième sens indiqué plus haut. 1. Epoque de la république. La mesure des approvisionnements de la ville de Rome a dû varier en proportion des progrès de l'enceinte et de la population de la ville proprement dite. On ne peut à cet égard prendre pour base certaine, comme certains auteurs, les chiffres du cens indiqués par les historiens; car le cens renferme tous les citoyens romains en état de porter les armes, compris dans les classes, et ayant par conséquent leur domicile légal à Rome, quelle que fût d'ailleurs leur résidence habituelle [CENSUS]. D'autre part, les historiens ne nous parlent pas, en général, du nombre des femmes, des enfants, des esclaves, des étrangers admis à résider à Rome, ni de ceux qui y vivaient avec le droit de MuNICIrIUM sine suffi-agio, etc. ; il est donc fort difficile de connaître le chiffre de la population réelle de la ville, c'est-à-dire des habitants de Rome, chiffre nécessaire pour en calculer l'approvisionnement à une 35 -274 ANN époque donnée; cependant on indiquera plus loin quelques essais tentés pour le fixer. Les céréales employées à l'alimentation du peuple en général, et même des soldats e et des esclaves, consistaient principalement en froment (triticum, far), rarement en orge (hordeum) 7; c'est au moyen âge seulement qu'on commença d'avoir recours au seigle et à l'avoine (aoena), qui n'était guère en usage que pour les chevaux. Ordinairement la farine de froment était réduite en bouillie (puis ou pu1mentum), nourriture habituelle des premiers Romains ; plus tard on préférale pain 8. La mesure du blé était le IvioDIUS, qui contenait, d'après bureau de la Malle, 8''°,671, dont le poids moyen était 6''',603. Les procédés de mouture et de panification étant imparfaits, le poids relatif de la farine au blé était dans le rapport de 16 à 20, et le blé ne rendait en pain que son poids a, La quantité de blé employée pour la nourriture d'un esclave était de 4, le 1/2 ou 5 modii par mois 10;,, aux soldats on distribuait, suivant Polybe, aussi 4 modii ou 34`',184. Plus tard on donna 5 morfil' aux frumentaires dans les distributions gratuites, et même aux prisonniers '2 (431t' 363 32x'',516 en poids). Suivant Columelle 13, un vigneron recevait trois livres (françaises) de froment par jour et 264 litres de vin par an, Dureau de la Malle n évalue à cette époque la lis re de pain et le litre de vin à 15 centimes. On a quelques données sur le prix moyen du blé en Italie à certaines époques 11; mais il faut tenir compte 16, quand on parle du prix du modius de blé en as, de ce que la valeur de l'as, primitivement une livre pesant de cuivre (aes grave), fut réduite successivement de 12 onces à 2, 1 et enfin 1/2 once, en 486, 537 et 665 de Rome, ou 269, 217 et 89 av. J,-C. [AS]. Or, d'après Pline, en 298, en 327 et en 245 (le Rome, on fournit du blé au peuple à 1 as le modius, c'est-à-dire à un as de douze onces de cuivre, et à 1 as de 2 onces en 501 de Rome. C'étaient des blés que les édiles faisaient distribuer soit aux frais de l'État, soit à titre de largesse (largitio), à un prix inférieur au cours normal; quelquefois on visitait les magasins des particuliers et on les forçait de vendre l'excédant de leur provision '7. En 552 de Rome ou 202 av. J.-C., du blé envoyé d'Afrique par Scipion fut distribué moyennant 4 onces de cuivre le modius, et l'année suivante pour 2 onces 18. Polybe 19 indique pour la haute Italie et la Lusitanie des prix extrêmement bas, dus probablement à la difficulté des transports; il évalue à 4 oboles le medimnus du blé de Sicile, soit un peu moins de 2 as le modius s0, En Sicile, pays de production, le blé valait, avant l'administration de Verrès, en un temps de libre commerce 5 deniers ou 20 sesterces = 15 fr. 53 c. le modius 211. Sous l'administration de Verrès, en 681 de Rome ou 73 av. J.-C., le modius était réduit au prix de 2 ou 3 sesterces e3, c'est-à-dire 8 ou 12 as ; le prix du blé de dîme (decumanum) était taxé à 3 sesterces, et celui du blé de réquisition (imperatum) à 4 sesterces, c'est-à-dire 78 centimes. En 818 de Home ou 65 av. J,-C., le taux de 3 sesterces était considéré comme un bas prix =4. Dureau de la Malle en conclut que 4 sesterces étaient le prix moyen du modius de blé sous la république romaine''. D'ordinaire le marché de Rome était suffisamment approvisionné en céréales et en vin par les contrées voisines et assez fertiles du Latium, de l'Étrnrie, de l'Ombrie, etc. 26, malgré l'accroissement de la population. Quelquefois on fut obligé d'aller jusqu'en Sicile, L'Italie donnait des produits bruts considérables aux Irie, Ive et v° siècles de Borne, à raison de la petite culture, pratiquée en majorité par des hommes libres 27. En 529 de Rome ou 2-25 av. J.-C., la majeure partie de l'Italie, alliée ou sujette de Rome, présentait une population male libre et eu état de porter les armes, de 750,000 individus de 17 à 60 ans ". Cette étendue de 15,356,109 hectares contenait. d'après les évaluations de Dureau de la Malle 29, environ 7, 437,926 hectares de terres labourables dont 36 p. 100 environ demeuraient en jachère : les 4,834,653 hectares restants, ensemencés de 5 modii de froment par rIIUEltt ai 40, produisaient, déduction faite de la semence de l'année suivante, 1,0501ivres de blé environ par hectare, et en tout 5,080,543,452 livres de blé par an. Or, d'après la consommation moyenne des paysans et des citadins italiens, le calcul donne une population totale de 4,978,484 individus en Italie, parmi lesquels environ 2,312,6 77 se composaient d'esclaves, d'affranchis ou demi-citoyens..Leschiffres fournis par Denys d'Halicarnasse 31 pour la population de Rome en 278 de Rome ou 476 av. J.-C., époque où le territoire romain [Anna Ro1IANUS] était peu étendu comparativement à l'enceinte de la cité, permettent d'apprécier aussi la population et la consommation de Rome. Or, il y avait 110,000 citoyens romains mâles de 11 à 60 ans, et le reste, soit 330,000, composé de vieillards, femmes, esclaves, étrangers, etc. Dureau de la Malle évalue, d'après les tables de population, les citoyens mâles au-dessous de 17 et au-dessus de 60 ans, à 85,145 ; les femmes libres et citoyennes de tout âge à 195,146 ; il reste 49,710 individus pour les esclaves, pérégrins et affranchis 32. La consommation moyenne des citadins en blé était d'un peu plus de 2 livres (poids de marc) par jour, et, par conséquent, pour la population entière de Rome, 880 mille livres de blé, ou pour l'année 321,200,000 livres environ. Plus tard, la population de Rome augmenta, mais avec l'ager romanos, où habitaient un grand nombre des nouveaux citoyens, et les calculs approximatifs ne peuvent plus s'appuyer pour Rome sur les chiffres du cens donnés par les historiens. Aussi les évaluations des interprètes modernes relativement à la population de la capitale aux différentes époques sont-elles des plus divergentes. Juste Lipse 33 l'évalue, sous Auguste, à 4 millions ; ls. Vossius, à 14 millions " ; Gibbon, pour le IIIe siècle de l'ère chrétienne, à 1,200 mille habitants 3s; Bureau de la Malle, pour le Ive siècle après J.-C., à 562,000 têtes 3B ; mais ses calculs ont été justement critiqués par C. G. Zumpt 37. Bunsen admet, avec celui-ci, une population de 1,300 mille à '2 millions d'habitants, ycompris 650 mille esclaves 36 ; c'est l'opinion qu'adopte Mar ANN 2-75 ANN quardt Quoi qu'il en soit, les données précédentes permettent de fixer la quantité des céréales nécessaires à l'alimentation de nome, eu égard au chiffre que l'on aura adopté pour l'ensemble de sa population. En temps ordinaire, les négociants en blé [NEGOTIATORES] suffisaient à l'approvisionnement du marché de Rome; Cicéron 40 distingue le commeatus publicus et le commeatus p'ivcdus; mais, au cas de disette causée soit par l'interruption des communications en temps de guerre 41, soit par les phénomènes naturels, le sénat ou les consuls 43, et les édiles surtout intervenaient pour procurer du blé à prix réduit au moyen d'importations [cuiA ANNONAE] 43. Les fausses idées économiques, si longtemps admises, sur la nécessité de l'intervention de l'État dans la fixation du prix des denrées de première nécessité, permettaient hème de peser sur les particuliers d1 pour les forcer à vendre ou d'établir un maximum par voie d'édit 45 ; les édiles prononçaient des amendes contre les spéculateurs pour accaparement, et contre les auteurs de toute espèce de manœuvre ou coalition tendant à surélever le prix des denrées, sans trop distinguer entre la coalition des détenteurs et les spéculations moins blâmables (armoria com pressa, ]ARn3NARIATUS]. Il dut y avoir de très bonne heure des greniers publics (horrea publica) établis à Rome et à Ostie pour y emmagasiner les grains achetés par les édiles ou par les curatores et aanonae prae fecti,en vue d'une disette ou de l'éventualité d'un siége ; dès 487 de Rome ou 267 av. J.-C., un questeur établi à Ostie veillait au transport des céréales à Rome 46. Mais cette mesure se généralisa sans doute après la conquête des provinces, quand l'agriculture dépérit en Italie 47 avec la classe des hommes libres", par l'effet des guerres civiles ou étrangères, et de la concurrence des blés de Sicile, de Sardaigne ou d'Afrique, qui amena en Italie une transformation de la culture et la concentration de la propriété [LATIFUNDIA]. Sous la république, les édiles distribuaient déjà du pain aux indigents près du temple de Cérès 49. Les distributions de blé à prix réduit 50, devenues régulières depuis la loi de C. Gracchus, en 631 de Rome ou 123 av. J.-C. [FRUMENTARIAE LUGES], et rendues gratuites au profit de la plebs urbana depuis la loi Clodia, en 696 de Home ou 58 av. J.-C. a1, furent d'abord une suite et plus tard une cause notablement aggravante de cette décadence de la production des céréales en Italie. La population indigente de Rome s'accroissait sans cesse par l'espoir d'y vivre sans travail s ; en 650 de Rome ou 104 av. J.-C., le tribun Marcius Philippus le constatait avec exagération, en disant qu'il n'existait pas dans la cité deux mille hommes, qui eussent un patrimoine 55. Les blés de Sicile et de Sardaigne furent affectés non-seulement à l'entretien des troupes, mais à l'a limentation normale de Rome 58. Les dîmes de Sicile, dont les publicains avaient affermé le recouvrement moyennant la charge de livrer à Rome une quantité fixe de blé en nature, servaient à cet emploi'". On interdit même aux cultivateurs de transporter les produits de Sicile ailleurs qu'en Italie, sans autorisation du sénat 6e. Cicéron rapporte que de son temps la Sicile expédia à Home pour le compte de l'État 6,800,000 modii en blé de dîme ou de réquisil.ion "; il est probable que la Sardaigne en fournit presque autant Sa. Les agriculteurs italiens durent se réduire au pâturage 58, à la culture potagère et à celle de la vigne et des oliviers, protégés par des prohibitions spéciales Laprovince d'Afrique, après la chute de Carthage, contribua aussi à l'approvisionnement de Rome. Tous ces blés transportés à Pouzzoles (Puteoli), où les particuliers louaient fort cher des greniers (graneria) 61, étaient conduits à Ostie, livrés au questeur et transportés à Rome par des navires de transport (larmes caudicariae)A2, de la corporation des bateliers du 'fibre [caunzcASII]. Ces blés, avant les lois frumentaires, étaient vendus au prix de revient par les édiles, de façon à maintenir un taux modéré sur le marché; l'État ne faisait de sacrifices qu'en cas de disettefi3; mais, sons l'empire de la loi frumentaire de C. Gracchus, qui fit établir à cet effet des greniers publics (horrea Semproniana), le blé fut livré à 6 as 1/3 le modius (semis aeris et trientes) 54, à quiconque se présentait, c'est-à-dire à un prix un peu supérieur àlamoitié du cours du marché, qui était entre trois et quatre as; quatre as =12 sesterces ou 78 c. On distribuait par mois un certain nombre de modii, qui fut réduit à 5 par la loi Octavia 65, pour chaque impétrant citoyen romain domicilié à Borne tl6. Ces distributions furent organisées par un sénatus-consulte en 892 de Home ou 62 av. J.-C., puis par la loi Cassia Terentia (681 de Rome ou 73 av. J.-C.) 6R, et le soin (cura frumenti populo dividertdi) confié à divers magistrats, remplacés au temps de César par les aediles cereales 6d. La loi Clodiâ de 696 de Rome ou 58 av. J.-C. rendit la distribution gratuite 65 mais au profit des citoyens indigents seulement, d'après l'opinion la plus commune 70. Pompée fixa le chiffre des accipientes et dépensa 40 millions de sesterces en 56 av. J.-C. Jules César réduisit le nombre des participants aux frumentatioaaes du chiffre énorme de 320 mille à 150 mille 7i, par des dispositions dont oh trouve quelques restes accessoires dans la table d'Héraclée, ou /ex Julia municipales, rendue en 709 de Rome ou 45 av. J.-C. 7". Mais ce chiffre accru par la fraude fut ramené, comme on le verra, à 200 mille sous Auguste "3. On doit rappeler d'ailleurs que la liste contenait des impubères et même des enfants de trois ou quatre ans ", et non l'ensemble des citoyens romains, comme le donnent à entendre Plutarque 75 et même Appien 76. ANN 276 ANN Toutefois Hirschfeld, un des savants qui ont traité le plus récemment de l'annona, pense que tous les citoyens domiciliés pouvaient se faire inscrire sur les listes, d'après un tirage au sort (sortitio) opéré par les préteurs'; mais qu'en fait on n'y inscrivait que ceux dont le cens était inférieur à 400,000 sesterces 18. L'ensemble des participants portait le nom de plèbe de la ville (plebs urbana) 79 ; on les nommait aussi aeneatores, à cause des tables de bronze où ils étaient inscrits 80. En 22 av. J.-C., Auguste confia la surveillance de cette administration à deux, et plus tard à quatre curateurs ou praefecti frumenti dandi 81, jusqu'à ce que, à la fin de son règne, il eût créé la préfecture de l'annone, qui comprit à la fois la cura annonae et la cura frumenti u". Le PRAEFECTUS ANNONAE eut sous ses ordres des centurtones annonce et des procuratores annonce, dans les provinces frumentaires, et la surveillance des greniers ou magasins publics 83. Le système de gratuité inauguré par la loi Clodia entraînait pour le trésor des pertes considérables. Cicéron les évalue au cinquième des vectigalia ou revenus indirects du trésor public 84, par suite de la suppression du prix de 6 as 1/3 payés jadis par 5 modü distribués aux citoyens. Bureau de la Malle 8' a tiré de là diverses conclusions sur le budget général de Nome, mais elles sont écartées avec raison par Walter R6 en effet, bureau de la Malle a pris pour base du prix du modius, dont il fut fait remise, 5/6 d'as au lieu de 6 as 1/3, d'après la leçon plus correcte établie par Mommsen 87, seni et trientes. Plutarque évalue la perte à 1,250 talents, environ 7 millions de francs. Suivant Marquardt 88, on peut évaluer comme il suit les dépenses occasionnées par les distributions aux diverses époques des lois frumentaires : En 73 av. J.-C. d'après la loi Terentia Cassia, 10 millions de sesterces ; en 62 av. J.-C. d'après un sénatus-consulte 89, 30 millions; en 56 av. J.-C., d'après un édit de Pompée 90, 40 millions ; en 46, avant l'édit de J. César, 57 millions 600,000 sesterces, au prix de 3 sesterces le modius. Or à cette époque, 10 sesterces valaient, d'après bureau de la Malle 91, 271,95 ou environ 28 francs; ainsi le chiffre de la dépense des distributions en 46 av. J.-C. peut être évalué à 16 millions 128 mille francs. Cette évaluation prouve aussi l'accroissement énorme de la population indigente par suite de cette espèce de taxe des pauvres 98 et des affranchissements frauduleux opérés pour y participer 93. C'est ce qui amena Jules César à faire en l'an 461e recensement par quartiers (vicatim) de la population de la ville, et la réduction à 150 mille du nombre des percipientes s4 Il. Époque de l'empire. Pendant cette période l'approvisionnement de Rome demeura soumis en principe aux règles précédentes. Le commerce libre en faisait le fond, mais les distributions frumentaires gratuites 96 à la plèbe urbaine continuèrent régulièrement jusqu'au règne d'Aurélien, en 210, où elles furent transformées en distri butions de pain ; le tout était indépendant des largesses extraordinaires consistant en augmentation de la ration, ou en distributions supplémentaires 96 de blé, d'huile, de vin, etc. [CONGIAHIUM,LARGITIONES], au gré de la munificence impériale. En l'an 5 av. J. C., les participants étaient remontés au chiffre de 320 mille, qui fut ramené en l'an 2 à 200 mille, après un nouveau recensement 97, et ce maximum paraît s'être maintenu au moins jusqu'au règne de Septime Sévère 98. Nous croyons, avec la majorité des interprètes, tels que Dirksen 99, Rein 100 et Walter 101, que les pauvres seuls furent admis à s'inscrire, bien que cette opinion soit combattue par Mommsen, Marquardt et Hirschfeld; ceux-ci admettent toutefois qu'en fait les indigents seuls réclamaient. Du reste, la quantité distribuée était loin de suffire à l'ensemble de la population, que Marquardt 10' fixe ainsi en l'an 5 av. J.-C., d'après le chiffre des 320 mille recipientes : D'après le nombre des maisons 103 l'auteur arrive, avec Gibbon, à un chiffre de 1,200 à 1,600 mille habitants. Or 5 modü de blé par mois, distribués aux 320 mille, et plus tard aux 200 mille participants, ne pouvaient évidemment suffire à la consommation totale de la population, et même du nombre des privilégiés. Car 5 modii ou 66 livres 1/2 de blé = 32 kilogr. 715, d'après Dureau de la Malle, ou 43 litres 355 par mois suffisaient à peine à la nourriture d'un plébéien, d'un prisonnier 105 ou d'un esclave, à cause de l'imperfection de la mouture, qui amenait une perte assez considérable, et rendait la farine chère relativement ail cours des grains10o. Les riches tiraient de leurs possessions le blé nécessaire à leur consommation 106 ; les gens de la classe moyenne, mais non possesseurs de terres à blé, achetaient des céréales au marché 101. Celui-ci était approvisionné en partie 108 au moyen de l'impôt en nature des provinces frumentaires (annona ou canon frurnentarius), qui n'était pas employé sur place, et dont le produit excédait notablement le chiffre exigé pour la distribution ordinaire à la plèbe 109 Ainsi l'Égypte, sous Auguste 110, devait transporter à Rome par an 20 millions de modü de froment, ou 270 millions de livres, qui suffisaient pour la consommation de toute la ville pendant quatre mois 1'1. Il résulte de là que la consommation totale exigeait 60 millions de modü, lesquels, à 60 modü par tête, supposent au moins un million d'habitants 713. Le tribut de l'Égypte dépassait de beaucoup les 12 millions nécessaires à la dis AN°-277ANN tribution de l'annone aux 200 mille frumentaires. La Sicile, l'Afrique, etc., donnaient également un appoint considérable ; ces produits, réunis à celui de l'Égypte, devaient excéder les 60 millions nécessaires pour l'année. Le surplus fut ensuite placé dans des magasins de réserve par les ordres des empereurs prévoyants [CURA ANNONAE, IIORREUM]. Septime Sévère laissa disponible à sa mort le contingent frumentaire de sept années 113 [CANON FRUMENTARIUS], calculé d'après les bases suivantes : 75 mille modü par jour, soit 1,012,500 livres de blé par jour, ou 27,375,000 modü à dépenser par an. Or, comme les frumentaires n'en prenaient que pour 200 mille personnes 114, il restait de quoi fournir à 450 mille personnes de plus ; on vendait donc ce surplus à bas prix pour le compte de l'État, afin de peser sur les cours 115 ; c'était encore une largitio de l'Etat, et peut-être vendait-on alors une de ces cartes payées (tesserae frumentariae) donnant droit à tirer des magasins régulièrement une certaine quantité de blé 113. Par la limitation à 12 millions de modü, de la quantité de la distribution normale aux frumentaires, on avait eu en vue de ménager le commerce libre et les intérêts de l'agriculture 117. Néanmoins, en cas de disette, l'empereur accroissait la ration à titre de largesse [CONGIARIA] 118, ou même, par pure politique, on ouvrait les greniers de réserve, sans pouvoir quelquefois ramener un prix modéré sur le marché, notamment quand il y avait eu mauvaise récolte en Égypte "9. C'est ainsi que le prix du blé devint fort élevé à plusieurs reprises sous Auguste 1"0, par exemple en 759 de Rome. La cherté fut grande pendant presque toute la durée du règne de Tibère.En 772 de Il one ou 19 après J.-C., il dut fixer un maximum pour le prix du blé vendu au peuple et paya aux marchands une soulte de 2 sesterces par modius, ou environ 55 centimes '". II est assez probable que ce maximum fut de 3 sesterces. Sous Claude, il y eut encore une disette "". Sous Néron, après l'incendie de Rome, en 818 de Rome ou 65 de J.-C., on put abaisser le prix du blé jusqu'à 3 sesterces 1"3. Au temps de Pline 1'Ancien14', qui vécut dans les années comprises entre Claude et Titus, le modius de froment produisait 1 /2 modius de farine, et en fleur 5 sestarius. Le modius de farine valait 40 as= 10 sesterces ou 21,49; le prix d'un modius de farine blutée 48 as = 12 sesterces ou 21,99 ; le modius de fleur de farine valait le double, 96 as = 24 sesterces ou 51,98. Pour prévenir les famines, Trajan et ses successeurs cherchèrent à assurer l'approvisionnement de Rome pour sept ans à l'avance 185, au moyen de greniers de réserve d'une part, et d'autre part, de priviléges ou d'immunités concédées aux marchands et à l'industrie du transport par Durant cette période de l'empire, l'agriculture continua de dépérir en Italie et dans plusieurs provinces 1"7, avec la petite propriété, et la subsistance du peuple romain dépendit de plus en plus de la flotte et des provinces transmarines 18. Depuis le règne d'Aurélien, vers 270, les distributions, au lieu de se faire en blé, consistèrent en pain de première qualité 1"; il substitua à 3 livres romaines ou 2 livres françaises de blé par jour, 2 livres romaines de pain de fine fleur de farine pour chaque participant. III. Epoque du bas-empire. L'approvisionnement de Rome et de Constantinople fut assuré au moyen d'un contingent imposé à certaines provinces productives [CANON FRI:MENTARIUS] ; Rome tirait le sien de l'Afrique, et Con stantinople de l'Égypte 130. La corporation des navicularü était chargée du transport jusqu'aux bouches du Tibre. Nous renvoyons, pour plus de détails, aux articles ANNONA NONNAE ARCA FRUMENTARIA. Une partie de ce produit en blé était employée à vendre du pain de deuxième qualité à prix réduit 131, une autre portion à des distributions gratuites de pain 13", panis gradilis, dont le mode et la quotité varièrent 133. A Constantinople, la surveillance du nombreux personnel de l'annone appartenait directement au préfet de la ville 134 [PRAEFECTUS URBI]. La réglementation excessive établie sous l'empire et l'organisation officielle des corporations durent laisser peu de place au commerce libre pour l'approvisionnement de Rome. Parfois les exigences des commerçants romains faisaient bannir pendant quelque temps les marchands étrangers, et notamment des gens qu'on était obligé de rappeler ensuite (pantapolae) 136 Cependant les provinces productrices et surtout l'Afrique étaient épuisées, comme le prouvent leurs plaintes et les nombreuses remises d'impôts qu'on dut leur accorder 136. En résumé, le régime économique de l'annone, sans préserver les Romains de la famine, attira à Rome et plus tard à Constantinople la lie de la population de la banlieue et de la province 137, qu'il fallut en chasser ensuite 138 ; il employait le travail des cultivateurs honnêtes à nourrir une populace oisive ; il forçait de recruter par la contrainte les corporations de mariniers 139 et de boulangers de la capitale "i0 ; enfin il ruinait le commerce libre, et propageait l'institution de l'annona civica dans les grandes villes comme Alexandrie, Carthage, etc. 1". Ce système de l'intervention régulière de l'État pour nourrir le peuple des cités ne fit qu'étendre le paupérisme à Rome, comme à Constantinople 1'" [MENDIcI]; il accrut la misère des colons égyptiens (homologi) 143, et autres agriculteurs (agricolae), qui abandonnaient leurs terres (agni deserti) 144 pour se soustraire à la charge des impôts ou aux exactions des agents chargés d'en recouvrer le produit [ANNONARIAE SPECIES]. Tel fut ANN 278 ANN le résultat de la violation des lois de l'ordre économique aussi constantes que celles de la nature 1'". G. HUMBERT.