Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article STRENAE

STRENAE. -Présents que les Romains échangeaient à l'occasion de certaines fêtes, et particulièrement aux calendes de janvier (étrennes).-L'origine du motstrena est fort douteuse : pour certains auteurs, c'est un mot sabin synonyme de Sanitas' ; d'autres le rapprochent de strenuus 2 ou même de trenus pour teenus 3, par une hypothèse plus ingénieuse que vraisemblable. Mais tous s'accordent à lui donner le sens primitif de bonum omen, heureux présage, qu'il a notamment dans deux passages de Plaute 4. Il semble, d'autre part, qu'une confusion se soit anciennement établie entre l'usage des strenae et le culte de la déesse Strenia, personnification de la santé, qu'il faut rapprocher de Salus ' : Symmaque' fait remonter à l'époque du roi Sabin Tatius, l'habitude d'offrir comme don de nouvel an des rameaux sacrés coupés dans le bois de Strenia'. Un sacellum Streniae entouré d'un lucus devait exister au commencement de la voie sacrée, près du Colisée s ; mais il est impossible d'en fixer l'emplacement avec plus de précision. STR 1531 STR De tous ces témoignages il résulte que les strenae ont toujours eu une valeur symbolique et une signification religieuse. La nature même des objets qui étaient offerts comme présents confirme cette interprétation ; à l'origine, on donnait, outre les rameaux sacrés (verbenae) de laurier ou d'olivier, des dattes, des figues, du miel a pour que l'année dans son cours soit aussi douce que le don ; quelquefois les fruits étaient revêtus d'une mince couche d'or : Martial mentionne notamment des dattes dorées 2, Mais les fruits ne tardèrent pas à être considérés comme un présent trop humble, que seuls les pauvres gens pouvaient se permettre, en l'accompagnant d'une petite pièce de monnaie 3. L'argent peu à peu se substitua aux cadeaux primitifs, dignes de la simplicité de l'âge d'or; Ovide fait dire plaisamment au dieu Janus, que l'argent est encore plus doux que le miel'. On donnait suivant ses moyens des pièces de cuivre ou d'or°. Enfin,sous l'Empire, on échangeait des coupes ou des lampes de terre cuite portant l'inscription : Annum novum faustum felicem mihi (ou tibi), ou simplement : Annum novum, Annum faustum felicem, et quelquefois des représentations d'objets qui semblent figurer des cadeaux d'étrennes, tessères, fruits, guirlandes, as portant un Janus bifrons, et autres monnaies, cornes d'abondance, etc. ; sur d'autres, on voit (fig. 6643) une Victoire qui tient un bouclier ou un médaillon contenant la formule des voeux". On possède aussi des tablettes en terre, en verre, en métal ou autres matières', notamment plusieurs en cristal, où sont représentés les cadeaux d'étrennes, comme celle qu'on voit (fig. 6644), qui était destinée à l'empereur Commode, d'après l'inscription qui l'entoure et celle de la médaille qui y est gravée i0 Mais l'argent demeura le présent caractéristique, le plus en vogue; c'est ce qui explique pourquoi Dion Cassius ayant à parler des strenae, pour lesquelles il n'existait pas de mot équivalent en grec", dit simplement L'habitude d'échanger des cadeaux, chez les Romains, n'était pas limitée aux calendes de janvier ; certaines fêtes servaient de prétexte à des largesses réciproques et les riches qui traitaient luxueusement leurs hôtes les Mais, à cause de leur signification symbolique d'heureux présage (ominis boni gratia "), on réserva presque exclusivement les strenae pour le début de l'année consulaire, c'est-à-dire pour les calendes de janvier (die religioso14); ces étrennes sont parfois désignées sous le nom de calendariae strenae1°. Cet usage s'étendit sous l'Empire à toutes les classes de la société; la modicité même des cadeaux le prouve; dos souhaits oraux, des festins souvent licencieux et des mascarades complétaientla fête f G. Sous forme d'étrennes, certains collèges religieux faisaient des distributions d'argent (strennas, p. strenas, dividere), soit au début de l'année, soit pour la fête d'un empereur17. Mais les étrennes devinrent aussi une pratique vexatoire, qui dépouillait le pauvre pour le riche, l'écolier pour le maître, le client pour le patron et le citoyen pour le prince 'si Dès le commencement de l'Empire, la coutume s'établit d'offrir des strenae aux empereurs : en vertu d'un sénatus-consulte, Auguste put recevoir des présents en argent, qui lui étaient portés au Capitole, le jour des calendes de janvier, même quand il était absent de Rome; il employa cet argent à l'achat de statues qu'il répartit entre les divers quartiers de la ville'". L'empereur devait rendre ces cadeaux, et cet échange s'appelait strenarum commercium. Tibère rendait au quadruple ce qu'on lui donnait '° ; mais bientôt, obsédé par la foule des donateurs qui se succédaient pendant tout le mois de janvier sans interruption, il limita l'échange des strenae au jour des calendes, puis s'absenta de Rome pour échapper à la cérémonie, et enfin ne rendit plus rien 2t. Par cupidité, Caligula fit revivre la coutume et reçut en personne l'argent qu'on lui apportait dans le vestibule de son palais". Claude supprima cet abus23, mais sans faire disparaître l'usage, puisque nous le retrouvons encore sous Commode, sous Claude II, sous Théodore et sous Arcadius 24. Sous ces derniers empereurs, c'était le praefectus urbis qui apportait des strenae solemnes au prince, de la part du sénat, et le prince en faisait distribuer aux fonctionnaires du palais et à ses amis. Fig. 6046. Strigile Manche de strigile. STR 1532 STR La coutume des étrennes, pour parvenir jusqu'à nous, eut à vaincre la résistance et l'interdiction formelle de l'église chrétienne qui condamnait dans les réjouissances et les libéralités du début de l'année la persistance d'un usage païen 1. E. MAYNJAL.