Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ANTIDOSIS

ANTIDOSIS ('Airr(ioagç).Le mot âv-fôoat;, clans le droit attique, pouvait s'appliquer à tout échange ; mais, dans son acception habituelle, qu'un discours d'Isocrate a rendue populaire, il désignait une espèce particulière d'échange, se rattachant à l'organisation politique et à l'administration financière de la république athénienne. La république d'Athènes, au lieu de pourvoir directement, sur les fonds du trésor public, à certaines dépenses d'intérêt général, y faisait face au moyen des liturgies. Des citoyens riches étaient, suivant des règles que nous exposerons ailleurs [LEITOURGIAI], désignés pour remplir, i1 leurs frais, les obligations qu'entraînaient, par exemple, l'équipement et l'entretien des navires de guerre, la chorégie, la gymnasiarchie ou l'hestiasis. Les citoyens les plus riches devaient seuls être soumis à ces charges. Solon ' imagina un moyen singulier pour arriver à ce résultat et pour permettre à celui qui se croyait injustement désigné, ou dont la fortune avait été notablement amoindrie par des revers', de rejeter le fardeau sur un autre citoyen plus à même de le supporter. C'est ce moyen qui porta le nom d'icvvciSoat; et que nous allons décrire. Lorsque le débiteur d'une liturgie croyait avoir rencontré un citoyen dont la fortune était supérieure à la sienne et qui cependant était exempt de toute charge, il lui adressait la sommation de prendre sa place et de supporter à l'avenir les dépenses occasionnées par la liturgie. Cette sommation, au moins en ce qui concerne la liturgie de l'a vance de l'impôt sur les biens (7povtapop«), ne pouvait pas être faite indifféremment à toute époque. Démosthène" nous dit, en effet, que les stratéges autorisaient, une fois chaque année, les citoyens compris dans la classe des trois cents à proposer leurs eerreUaE; . Si le citoyen désigné, que nous appellerons le défendeur, accédait à la sommation, tout était terminé et le nouveau débiteur était substitué à l'ancien. Mais on comprend facilement que les résistances devaient être fréquentes. Un procès, rentrant dans la catégorie des i VtuGOv(at, s'engageait alors, et voici quelle en était la marche. Le demandeur, assisté de témoins, se transportait dans la maison et sur les immeubles du défendeur ; il les examinait contradictoirement avec son adversaire; il en faisait constater l'état par les témoins, qui recueillaient les déclarations actives et passives du défendeur et vérifiaient le nombre et l'importance des stèles hypothécaires. Cet examen terminé, pour prévenir toute soustraction de la part du défendeur, on fermait les portes de sa maison et on y apposait des scellés; on établissait des gardiens des immeubles'. A partir de ce moment, le défendeur ne pouvait plus disposer valablement des biens qui lui appartenaient, il ne pouvait même pas les déplacer. La raison, à défaut de textes, nous dit que les mêmes précautions pouvaient être prises par le défendeur relativement à la fortune du demandeur, et les mêmes formalités devaient alors être remplies Les deux parties s'engageaient ensuite solennellement à se remettre de part et d'autre, dans le délai de trois jours, un inventaire exact et détaillé de leur fortune a. Il n'était pas toutefois nécessaire d'y comprendre les mines possédées à titre emphytéotique, attendu que cette espèce de biens, soumise à des taxes spéciales, n'était pas tenue de contribuer aux liturgies'. Les inventaires, au moment où chacune des parties remettait le sien à l'adversaire, étaient affirmés sous la foi d'un serment, dont la forrhule nous e a été conservée par Démosthène e. A cette hauteur de la procédure, deux incidents pou. vaient se produire. Si des objections étaient dirigées contre la sincérité des inventaires, il fallait nécessairement statuer d'abord sur les contestations qui se produisaient°. Cette question préjudicielle ne doit pas nous arrêter ; il ne peut y avoir, à son égard, ni obscurités, ni incertitudes. Le second incident est plus notable ; quelques auteurs70 en ont même nié la possibilité; mais ils ne sont arrivés à cette conclusion qu'en dénaturant gravement le sens et la portée d'un texte de Démosthène. Cet orateur rapporte que, poursuivi en an1idosis par Thrasylochus, il se déclara prêt à acquiescer à la demande d'échange qui lui était adressée, sous la condition expresse que son action en dommages et intérêts contre ses tuteurs infidèles lui serait réservée et ne passerait pas à Thrasylochus ". Il résulte de ce fait que le défendeur, avant de prendre un parti définitif, avait le droit de demander préalablement que tel élément de son patrimoine, spécialement désigné, fût exclu de l'échange et lui demeurât propre. Cette réserve est aisée à comprendre et à justifier. Lorsqu'une action importante est engagée sans qu'il soit possible d'en prévoir le résultat, comment évaluer exactement la fortune de chacune des parties litigantes et apprécier si l'échange offre ou non des avantages? Démosthène pouvait être réduit à une fortune modeste, ou se voir classé parmi les citoyens riches d'Athènes, suivant que les juges repousseraient ou accueilleraient la demande qu'il se proposait de former contre ses tuteurs. Il lui était donc très-difficile de reconnaître si son intérêt lui commandait d'accepter un échange général ou d'en rejeter la proposition. Voilà pourquoi il se déclarait prêt à abandonner sa fortune actuellement liquide et certaine, en gardant pour lui les chances favorables ou défavorables que lui offrait son procès de tutelle. La question préjudicielle , soulevée par cette nouvelle St«Sexaaic( de savoir si la réserve devait être admise ou repoussée, était alors discutée ; mais nous ignorons les principes qui guidaient les juges dans la recherche d'une solution 13. Supposons maintenant qu'il n'y eût pas de réserves, que la loyauté des inventaires ne fût pas incriminée, et que cependant les deux adversaires, après avoir examiné les états qu'ils s'étaient respectivement communiqués, ne pussent pas se mettre d'accord. Les pièces devaient alors être déposées entre les mains des magistrats dans l'hégémonie desquels rentrait la contestation : les stratéges, s'il s'agissait de triérarchie ou de 7ipostatpopz ; les chorages, s'il s'agissait de chorégie Ces magistrats instruisaient l'affaire et la portaient devant le tribunal compétent. L Les juges, en rapprochant et en comparant les deux inventaires recherchaient quel était celui des deux adversaires qui possédait la fortune la plus considérable et décidaient non pas comme on l'a soutenu'', que l'échange (levait avoir lieu, mais bien quelle était celle des deux parties qui, à cause de la supériorité de sa richesse, devait être soumise à la liturgie. S'ils se prononçaient en faveur du défendeur et que la demande leur parût être le résultat d'une erreur et non pas l'rouv-re de la mauvaise foi, ils renvoyaient le demandeur sans lui appliquer aucune peine. Le rejet de la demande avait toutefois, même dans ce cas, une conséquence importante ; il rendait impossible l'introduction, par celui qui venait, d'échouer, d'une seconde demande en xvTf3octs contre une autre personne 6. Sans cette prohibition, des instances successives auraient pu laisser pendant trop longtemps indécise la détermination du citoyen obligé à la liturgie, et les intérêts de l'État eussent été gravement compromis. Si, au contraire, la demande était accueillie, il fallait, ou bien que le défendeur prît la place du demandeur, ou bien qu'il échangeât avec lui sa fortune. La loi accordait au défendeur qui succombait le choix entre ces deux alternatives. Il est vraisemblable que, presque toujours dans la pratique, le défendeur, au lieu de se séparer de biens qui avaient pour lui une valeur d'affection indépendante de leur valeur intrinsèque, acceptait la charge de la liturgie. C'est ce que fit Démosthène, poursuivi par Thrasylochus, lorsqu'il reconnut que la réserve de son action contre ses tuteurs ne devait pas être accueillie ; c'est ce que fit également Isocrate poursuivi par Mégaclide19; enfin, dans un discours de Lysias7e, l'orateur dit nettement que son adversaire aimerait mieux supporter dix fois la charge de la chorégie que d'échanger avec lui sa fortune. Lorsque, exceptionnellement, le défendeur condamné optait pour l'échange, il devait remettre tout son actif au demandeur et recevait, en contre-dation, la fortune de son adversaire. La loi exceptait toutefois de l'abandon les mines, par la même raison qui les avait fait écarter de l'inventaire. Peut-être, la pratique autorisait-elle encore d'autres exceptions 19, pour les cléruchies, par exemple, qui, de même que les mines, étaient exemptées de certaines liturgies 20. M. Scheemann met sur la même ligne les biens « quorum communis ipsi (permutanti) cum aliis possessio erat 21. D Mais il résulte d'une définition d'Harpocration que les xotvolvtxz contribuaient à la triérarchie comme les autres biens, lorsque le possesseur avait une fortune suffisante pour être soumis à la liturgie. L'exception proposée par M. Scheemann ne nous paraît donc pas admissible. Quand l'exécution de l'échange soulevait quelqu'une de ces difficultés ou d'autres analogues, il y avait lieu à une nouvelle St«Stx«aiu sur laquelle les juges prononçaient 22 L'échange conduisait donc, par une voie détournée, au but que le demandeur avait voulu atteindre. Il soutenait qu'il devait être exempté de la charge et remplacé par tel autre citoyen plus riche qu'il désignait. Celui-ci lui re 37 mettait sa fortune. Le premier se trouvait donc maintenant, de son propre aveu, le plus riche, et il n'était plus fondé à se plaindre. Cette succession à titre universel devait amener, dans l'application, des difficultés assez sérieuses. tri exemple suffira pour l'établir. Nous avons dit que tout l'actif du défendeur passait sur la tête du demandeur, et réciproquement. Cette transmission se comprend aisément lorsqu'elle est limitée à des objets mobiliers ou immobiliers par leur nature. Mais que devenaient les droits et es obligations? Si l'échange eût été accepté, les débiteurs de Thrasylochus seraient-ils devenus débiteurs de Démosthène? Et, ce qui est plus grave encore, les créanciers, envers lesquels Thrasylochus s'était obligé, auraient-ils été tenus de se contenter de la garantie personnelle offerte par Démosthène, avec lequel ils n'avaient pas contracté ? Il est difficile de répondre à ces questions d'une façon satisfaisante 24. Voici toutefois une théorie assez simple et assez naturelle qui nous paraît ressortir des textes : les droits ou obligations exclusivement attachés à la personne n'étaient pas compris dans la transmission ; ceux qui se rattachaient principalement à la fortune passaient au coéchangiste. Deux applications vont mettre en relief cette distinction. Démosthène avait, à se plaindre de ses tuteurs qui avaient mal géré ses affaires et qui lui devaient, comme réparation de leur négligence, des dommages et intérêts. Thrasylochus intente contre lui une demande en «vr(Soatç. Si l'échange a lieu, Démosthène perdra le droit d'agir contre ses tuteurs ; l'action, tendant à un résultat purement pécuniaire, appartiendra à l'avenir à Thrasylochus, ûç xai -rôiv ctxï»v Toérorv TOI 'j tévroç ytyvo e ss s 2 ; aussi Démosthène, pour ne pas laisser échapper sa vengeance, se soumit à la liturgie. Supposons, au contraire, que l'une des parties soit tenue d'une obligation alimentaire envers un de ses parents, sa mère par exemple; malgré l'échange, elle restera toujours débitrice, parce que la dette tient à la qualité de fils qui ne peut entrer dans la transmission. L'adversaire de Phénippe le dit formellement : a Ma situation à l'égard de ma mère restera toujours la môme, que je devienne possesseur de la fortune de Phénippe, ou que je conserve la mienne", » Nous avons trouvé, dans le Code de Justinien, un texte curieux, qu'il nous paraît intéressant de rappeler, à propos de l'«vriloatç athénienne. On sait que, sous l'empire, les décurions étaient responsables envers le fisc impérial du recouvrement des impôts; c'était une sorte de liturgie, présentant beaucoup de traits de similitude avec la 7poEta?opx d'Athènes. La dignité de décurion était par là fort onéreuse, et les citoyens appelés à l'occuper cherchaient par tous les moyens en leur pouvoir, notamment par la fuite, à y échapper. En leur absence, on désignait d'autres citoyens chargés de percevoir et, au besoin, d'avancer les impôts, et, pour leur faciliter l'accomplissement de leur obligation, on leur transmettait la possession des biens des fugitifs u Si ad magistratum (decurionatus) nominati aufugerint, requirantur; et, si perlinaci cos animo latere patuerït, his ipsorum bona permittantur, qui praesenti tempore in locum eorum ad duumviratus munera voca buntur 28. » E. CAU.LEMRR.