Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VINDEX

VINDEX. Le vindex est celui qui prend fait et cause pour un débiteur soumis à la manus injectio de son créancier, ou pour un citoyen cité en justice (in jus vocatio). Dans l'un et l'autre cas, le vindex intervient en faveur d'une personne qui est appréhendée au corps pour être conduite de force dans une prison privée ou devant le magistrat. Le vindex s'interpose entre l'auteur et la victime de la violence. Son rôle, dans le premier cas, est caractérisé par l'expression manum depellere'. Il repousse la force par la force. Tel était l'état primitif du droit. On en retrouve la trace dans la disposition de la loi des Douze Tables relative à celui qui in jure vindicit sur un judicatus 2 ; dans une clause de la loi de la colonie Genetiva Julia relative à celui qui vim forcit 3, et dans la dénomination de vindex qui, d'après Festus, désigne .celui qui vindicat pour libérer une personne appréhendée au corps Ce sont là des allusions très nettes à la lutte qui s'engage entre le créancier et le vindex, lutte qui, à Pori VIN 900 VIN gine, a dû être effective, mais qui, à l'époque récente, n'est plus qu'un souvenir [vINDICATIO] : elle se réduit à une simple déclaration devant le magistrat. On a contesté, au point de vue philologique, l'étymologie attribuée au mot vindex. Vindex vient, dit-on, de venum dicere et non de vint dicere t. S'il en est ainsi, cela prouve, une fois de plus, que les grammairiens romains donnent parfois des étymologies fantaisistes. Il faut se garder d'en conclure qu'ils se trompent sur le sens des termes employés. Venum dicere désignerait, d'après les modernes, le citoyen qui déclare consigner le prix d'une chose ou d'une personne. Mais aucun texte ne parle de cette consignation ; aucun ne suppose que le vindex intervient à l'occasion d'une vente. Au temps des Douze Tables, les Romains ne connaissent que la vente au comptant réalisée par une mancipation : le paiement du prix par l'acquéreur en personne, la présence d'un libripens pour vérifier le poids des lingots de métal livrés par l'acquéreur sont les éléments essentiels de la solennité de l'acte [MANCIPATIO, p. 1564]. Le vindex ne joue ici aucun rôle. tution d'un vindex est obligatoire pour écarter la manus injectio. Celui qui est appréhendé au corps ne peut se soustraire à l'acte de force dont il est l'objet, s'il n'est en mesure de fournir un vindex. Gains explique clairement le rôle du vindex dans le cas de la manus injectio exercée contre un judicatus 2. Un débiteur a été, après jugement, appréhendé au corps par son créancier, faute de paiement de la somme due. Survient un tiers qui, en présence du magistrat, déclare qu'il veut soustraire le judicatus à la prise de corps du créancier. Il n'était pas permis au judicatus, dit le jurisconsulte, de repousser la manus injectio ni de soutenir en justice sa propre cause ; mais il constituait un vindex, qui plaidait en son propre nom, comme si l'affaire le concernait personnellement. Gains ajoute : celui qui ne présentait pas de vindex était emmené dans la maison du demandeur pour y être enchaîné. L'intervention d'un vindex a donc pour effet d'abord de soustraire le débiteur à la manus injectio, puis d'obliger le vindex à pro se causant agere. C'est à lui que le demandeur aura affaire désormais ; c'est lui qui doit démontrer que la manus injectio a été exercée à tort. S'il ne réussit pas à faire la preuve, s'il succombe dans le procès intenté contre lui, on le traite comme un voleur non manifeste : il encourt la peine du double. Le chapitre 61 de la loi de Genetiva Julia contient cette disposition empruntée à la loi romaine : Si quis in eo vint faciet, ast ejus vincitur, dupli damnas esto. En autorisant le vindex à arrêter l'exercice de la manus injectio, la loi des Douze Tables a pris des mesures pour sauvegarder le droit du créancier. La substitution d'un citoyen à un autre ne doit pas avoir pour résultat de mettre un insolvable à la place d'un citoyen solvable. Le créancier n'est pas obligé d'accepter pour vindex le premier venu. Si le débiteur soumis à la manus injectio est inscrit au cens (adsiduus), le vindex doit l'être également. Mais si le débiteur est prolé taire, tout citoyen a le droit de se porter vindex. Aulu-Gelle 3 rapporte les termes de la loi : Adsiduo vindex adsiduus esto ; proletario jam civi, quis volet, vindex esto. Le choix du vindex se détermine, non pas d'après la valeur du litige, mais d'après la situation que le débiteur occupe dans les classes du cens' [cLASSIS, p. 1224, n. 17]. Pour des raisons d'ordre politique, quelques lois postérieures aux Douze Tables ont dispensé certains débiteurs, soumis à la manus injectio, de l'obligation de fournir un vindex 5 [MANUS INJECTIO, p. 1588]. Gaius en cite deux : la loi Marcia, relative au capitaliste à qui l'on demande de restituer les intérêts indûment perçus [LEX, p. 1155, n. 9] ; la loi Furia testamentaria, relative au légataire qui réclame un legs supérieur à 1000 as [LEX, p.1145, n. 4]. La loi leur permet de s'opposer eux-mêmes à la manus injectio et de soutenir en justice que cette action de la loi n'est pas justifiée à leur égard. Ils ont le droit de manum depellere et pro se causam agere [FOENUS, p. 1226, n. 1; LEGATUM, p. 1043]. Vers la fin du vie ou au commencement du vile siècle , de Rome, la loi Vallia [LEX, p. 1166, n. 22] a étendu cette faveur à tous les citoyens soumis à la manus injectio, sauf deux cas, celui d'un judicatum et celui d'un n. 21; INTERCESSIO, p. 551]. L'usage du vindex en cas de manus injectio,.déjà très restreint depuis la loi Vallia, a disparu lorsque, sous Auguste, les lois Juliae judiciariae ont aboli la manas injectio avec les autres actions de la loi 7 [LEx, tion d'un vindex n'est pas ici directement attestée pour l'époque antique. Elle n'est connue que par les textes relatifs à son application sous l'Empire. Mais on ne peut guère douter que l'intervention du vindex ait été usitée, comme dans le cas précédent, dès le temps de la République. S'il était permis à un tiers d'arrêter l'acte de force du créancier qui a obtenu un jugement, à plus forte raison devait-on l'admettre pour une simple citation en justice [Jus, p. 743]. Le vindex est un personae defensor : son intervention suffit pour faire relâcher l'in jus vocatus $. D'après Gains, l'Édit du Préteur contenait, sous le titre de in jus vocando, une formule in factum contre celui qui, cité en justice, n'était pas venu ou n'avait pas donné de vindex 9. On sait d'autre part que cet édit existait au temps d'Auguste, car il a été commenté par Labéon 10. L'usage du vindex en cas d'in jus vocatio est donc antérieur à cette époque, antérieur même à l'Édit. Le Préteur a jugé utile de réglementer à nouveau la responsabilité et la capacité du vindex. Les deux clauses de l'Édit sont des modifications au droit des Douze Tables. Il a paru excessif de traiter comme un voleur non manifeste le tiers qui, par amitié pour l'in jus vocatus, est intervenu en sa faveur et n'obtient pas de lui sa comparution devant le magistrat. Ici, comme en bien d'autres cas, le Préteur a atténué la rigueur du droit civil". Quant à la capacité requise du vindex, le Préteur a VIN 904 -VIN suppléé à l'insuffisance de la loi : lorsqu'après la conquête de la Macédoine et le triomphe de Paul-Émile en 587, l'inscription des citoyens sur les registres du cens cessa d'être strictement exigée par les magistrats t, la qualité d'adsiduus ne pouvait, dans bien des cas, être établie. Le Préteur fixa un nouveau critérium 2. L'institution d'un vindex en cas d'in jus vocatio s'est conservée sous l'Empire, Gaius l'atteste Elle subsiste encore, mais sous une dénomination nouvelle, dans le droit de Justinien : le vindex est appelé fdejussor judicio sistendi causa datas Les textes classiques insérés au Digeste ont été interpolés. En tenant compte de cette observation, on peut retrouver au livre II, titre 6, au Digeste, complété par quelques lois des titres 8 et 11, les règles relatives à cette seconde application du vindex. 1. Obligation du vindex. Le vindex garantit la comparution de l'in jus vocatus devant le magistrat ; sinon le Préteur lui ordonne de l'exhiber à jour fixe, à moins qu'il ne préfère défendre au procès à sa place Le délai de comparution est calculé à raison de 20000 pas par jour, non compris le jour où la promesse a été faite 6. En cas de décès de l'in jus vocalus, le Préteur ne doit pas quand même donner au vindex l'ordre d'exhibition; s'il l'a fait par erreur, ou si le décès est postérieur au décret, mais antérieur au jour fixé pour l'exhibition, le Préteur doit refuser de donner action contre le vindex. Mais si le décès est postérieur au jour fixé pour l'exhibition, on peut exercer une action utile contre le vindex 7. Il en est de même si l'in jus vocatus a perdu le droit de cité avant ce jour 8. Dans l'un et l'autre cas, le demandeur ne doit pas souffrir d'un retard mis par le vindex à se conformer au décret du magistrat : il peut requérir l'organisation d'une instance. Cela n'empêchera pas le vindex d'être absous, si le demandeur ne fait pas la preuve de son droit devant le juge. Le vindex reste obligé si le défendeur se dérobe à la poursuite (poteslatet'n sui non facit). L'Édit prétorien donne ici un surcroît de garantie au demandeur : il considère l'in jus vocatus comme latitans et autorise la saisie de ses biens [nlissio IN POSSESSIONEM, p. 1939, n. 5]. Le vindex ne peut pas se contenter d'alléguer que l'in jus vocatus est libéré tempore : son obligation n'en subsiste pas moins ; on donnera une action contre lui pour faire vérifier son affirmation f0. Mais le vindex sera libéré si l'in jus vocatus est absent pour le service de l'État 11. Le vindex doit assurer la comparution du défendeur in eadem causa, de manière que le demandeur ne soit pas obligé d'exercer sa poursuite dans un lieu plus incommode. On n'a pas égard à la difficulté du recouvrement de la créance. Si le défendeur a contracté de nouvelles dettes ou perdu de l'argent, s'il a été judiciairement condamné, le vindex n'en est pas responsable 12; le créancier en subit les conséquences. 2. Choix du vindex. D'après l'Édit prétorien, le vindex doit en principe avoir une fortune en rapport avec la qualité de l'in jus vocatus 12. Le demandeur qui refuse d'accepter un vindex d'une fortune notoire, ou dont la solvabilité, en cas de doute, a été reconnue par un arbitre, se rend coupable d'une offense envers le défendeur et envers le vindex" : l'un et l'autre ont le droit d'exercer contre lui l'action d'injures " [INJURIA, p. 520, p. 29]. Il ne suffit pas, pour être agréé, que le vindex ait de la fortune ; il faut de plus que le demandeur puisse facilement le poursuivre en cas d'inexécution de son obligation. D'après un rescritd'Antoninle Pieux, le demandeur a le droit de refuser un vindex qui peut invoquer une praescriptio fori 16, telle que le jus domum revocandi p. 859]. Si cependant l'in jus vocatus ne peut trouver un autre répondant solvable, on avertira le vindex qu'il ne pourra se prévaloir de son privilège. Aucune condition de fortune n'est exigée du vindex lorsque l'in jus vocatus est le parent, le patron ou la patronne, la femme ou la belle-fille du demandeur 17. Celui qui, en connaissance de cause, refuse ici d'agréer le vindex qu'on lui présente, quel qu'il soit, est passible d'une action en paiement d'une amende de 50000 sesterces 1B. Cette action est soumise au jugement de récupérateurs 19 [RECUPERATIO, p. 816, n. 11]. 3. Responsabilité du vindex. Le vindex, s'il n'est pas en mesure de faire comparaître l'in jus vocatus, est tenu d'une action in factum créée par le Préteur. Au lieu d'encourir la peine du double comme le vindex de la manus injectio, il doit une simple indemnité au demandeur. Mais cette indemnité n'est pas calculée seulement d'après l'étendue du préjudice causé par l'absence de l'in jus vocatus : le vindex doit une réparation intégrale 20. Il est condamné quanti ea res erit, à moins qu'il n'ait limité son engagement à une certaine somme 21. Si, par exemple, l'action que le demandeur se proposait d'intenter est au double, au triple, au quadruple, le vindex paiera deux, trois ou quatre fois la valeur du litige22, comme l'aurait fait le défendeur lui même [LITIS AESTIMATIO, p. 1269, n. 32]. Si la condamnation encourue par le vindex est égale à celle qui serait prononcée contre l'in jus vocalus qui aurait succombé dans la poursuite dirigée contre lui, il ne faut pas en conclure que son obligation ait le caractère d'un cautionnement. A vrai dire, le vindex est considéré comme ayant promis le fait d'autrui et subsidiairement son fait personnel. Si l'in jus vocatus ne se présente pas spontanément devant le magistrat, le vindex reçoit l'ordre de l'exhiber23. La désobéissance au décret du magistrat est considérée comme un délit. On pourrait objecter que les compilateurs du Digeste appellent le vindex fidéjusseur. Mais cette dénomination s'explique d'abord par leur volonté d'exclure de la terminologie juridique les mots rappelant des institutions archaïques, que les Byzantins ne comprenaient plus ; puis par un fait mentionné dans les Sentences de VIN _ 002 VIN Paul et confirmé par les papyrus gréco-égyptiens 2 : l'usage de consigner dans les actes du magistrat la constitution du vindex et de la faire suivre d'une formule de stipulation La promesse du vindex prit ainsi l'apparence d'une fidéjussion; mais on eut soin de la qualifier judicio sistendi causa pour bien montrer que ce n'était pas une fidéjussion ordinaire. On croyait cependant autrefois que le fidéjusseur judicio sistendi causa était une caution fournie par le défendeur, dans le vadimonium cum satisdatione, lorsque, en cas de renvoi de l'affaire à une prochaine audience, il promettait de comparaître in jure, au jour fixé par le magistrat t. On reconnaît aujourd'hui qu'il y a là une confusion. Autre chose est le vindex de l'in jus vocatio, autre chose la satisdation du vadimonium. Gaius les distingue nettement et L'Édit du Préteur s'en occupait dans des titres différents. L'obligation du fidéjusseur en cas de vadimonium est accessoire à l'obligation certo die sisti contractée verbis par le défendeur [vADIMONIUM, p. 620]. En cas de constitution d'un vindex, l'in jus vocatus ne contracte aucune obligation; il se borne à vindicem dare. Le vindex ne prend pas d'engagement formel : il est tenu pour obligé, parce qu'il n'a pas exécuté le décret du Préteur qui lui a donné l'ordre d'exhiber ou de défendre l'in jus vocatus. Cette obligation est sanctionnée, non par l'action civile née de la stipulation comme celle d'un fidéjusseur, mais par une action prétorienne in factum. Ces actions ont un résultat très différent : l'action donnée contre le fidéjusseur du vadimonium n'a pour objet le quanti ea res erit que dans les cas de judicatum et de depensuin ; partout ailleurs, la condamnation ne peut excéder la moitié de la valeur du litige, ni au maximum 100000 sesterces 6. Cette distinction est étrangère à l'Édit du Préteur sur le vindex : dans tous les cas, le vindex est tenu de payer intégralement la `valeur du litige. EDOUARD CUQ.